----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Quand l' architecte entra dans la chambre à coucher , il fut surpris de la beauté de Césarine , et resta presque interdit . Sortie de sa chambrette en déshabillé du matin , Césarine , fraîche et rose comme une jeune fille est rose et fraîche à dix - huit ans , blonde et mince , les yeux bleus , offrait au regard de l' artiste cette élasticité , si rare à Paris , qui fait rebondir les chairs les plus délicates , et nuance d' une couleur adorée par les peintres le bleu des veines dont le réseau palpite dans les clairs du teint .
Quoique vivant dans la lymphatique atmosphère d' une boutique parisienne où l' air se renouvelle difficilement , où le soleil pénètre peu , ses moeurs lui donnaient les bénéfices de la vie en plein air d' une Transtévérine de Rome .
D' abondants cheveux , plantés comme ceux de son père et relevés de manière à laisser voir un cou bien attaché , ruisselaient en boucles soignées , comme les soignent toutes les demoiselles de magasin à qui le désir d' être remarquées a inspiré les minuties les plus anglaises en fait de toilette .
La beauté de cette belle fille n' était ni la beauté d' une lady , ni celle des duchesses françaises , mais la ronde et rousse beauté des Flamandes de Rubens .
Césarine avait le nez retroussé de son père , mais rendu spirituel par la finesse du modelé , semblable à celui des nez essentiellement français , si bien réussis chez Largillière .
Sa peau , comme une étoffe pleine et forte , annonçait la vitalité d' une vierge . Elle avait le beau front de sa mère , mais éclairci par la sérénité d' une fille sans soucis .
Ses yeux bleus , noyés dans un riche fluide , exprimaient la grâce tendre d' une blonde heureuse . Si le bonheur ôtait à sa tête cette poésie que les peintres veulent absolument donner à leurs compositions en les faisant un peu trop pensives , la vague mélancolie physique dont sont atteintes les jeunes filles qui n' ont jamais quitté l' aile maternelle lui imprimait alors une sorte d' idéal .
Malgré la finesse de ses formes , elle était fortement constituée : ses pieds accusaient l' origine paysanne de son père , car elle péchait par un défaut de race et peut - être aussi par la rougeur de ses mains , signature d' une vie purement bourgeoise .
Elle devait arriver tôt ou tard à l' embonpoint .
En voyant venir quelques jeunes femmes élégantes , elle avait fini par attraper le sentiment de la toilette , quelques airs de tête , une manière de parler , de se mouvoir , qui jouaient la femme comme il faut et tournaient la cervelle à tous les jeunes gens , aux commis , auxquels elle paraissait très distinguée .
Popinot s' était juré de ne jamais avoir d' autre femme que Césarine .

CESAR BIROTTEAU (VI, paris)
Page: 103