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César avait alors quarante ans . Les travaux auxquels il se livrait dans sa fabrique lui avaient donné quelques rides prématurées , et avaient légèrement argenté la longue chevelure touffue que la pression de son chapeau lustrait circulairement .
Son front , où , par la manière dont ils étaient plantés , ses cheveux dessinaient cinq pointes , annonçait la simplicité de sa vie . Ses gros sourcils n' effrayaient point , car ses yeux bleus s' harmoniaient par leur limpide regard toujours franc à son front d' honnête homme .
Son nez cassé à la naissance et gros du bout lui donnait l' air étonné des gobe - mouches de Paris .
Ses lèvres étaient très lippues , et son grand menton tombait droit . Sa figure , fortement colorée , à contours carrés , offrait , par la disposition des rides , par l' ensemble de la physionomie , le caractère ingénument rusé du paysan .
La force générale du corps , la grosseur des membres , la carrure du dos , la largeur des pieds , tout dénotait d' ailleurs le villageois transplanté dans Paris . Ses mains larges et poilues , les grasses phalanges de ses doigts ridés , ses grands ongles carrés eussent attesté son origine , s' il n' en était pas resté des vestiges dans toute sa personne .
Il avait sur les lèvres le sourire de bienveillance que prennent les marchands quand vous entrez chez eux ; mais ce sourire commercial était l' image de son contentement intérieur et peignait l' état de son âme douce .
Sa défiance ne dépassait jamais les affaires , sa ruse le quittait sur le seuil de la Bourse ou quand il fermait son grand livre .
Le soupçon était pour lui ce qu' étaient ses factures imprimées , une nécessité de la vente elle - même .
Sa figure offrait une sorte d' assurance comique , de fatuité mêlée de bonhomie qui le rendait original à voir en lui évitant une ressemblance trop complète avec la plate figure du bourgeois parisien .
Sans cet air de naïve admiration et de foi en sa personne , il eût imprimé trop de respect ; il se rapprochait ainsi des hommes en payant sa quote part de ridicule . Habituellement , en parlant , il se croisait les mains derrière le dos .
Quand il croyait avoir dit quelque chose de galant ou de saillant , il se levait imperceptiblement sur la pointe des pieds , à deux reprises , et retombait sur ses talons lourdement , comme pour appuyer sur sa phrase .

CESAR BIROTTEAU (VI, paris)
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