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Sais - tu ce que je serais ? un boutiquier comme a été le père Ragon , soit dit sans l' offenser , car je respecte les boutiques , le plus beau de notre nez en est fait ! Après avoir vendu de la parfumerie pendant quarante ans , nous posséderions , comme lui , trois mille livres de rente ; et au prix où sont les choses dont la valeur a doublé , nous aurions , comme eux , à peine de quoi vivre .
( De jour en jour , ce vieux ménage - là me serre le coeur davantage .
Il faudra que j' y voie clair , et je saurai le fin mot par Popinot , demain ! ) Si j' avais suivi tes conseils , toi qui as le bonheur inquiet et qui te demandes si tu auras demain ce que tu tiens aujourd' hui , je n' aurais pas de crédit , je n' aurais pas la croix de la Légion d' honneur , et je ne serais pas en passe d' être un homme politique .
Oui , tu as beau branler la tête , si notre affaire se réalise , je puis devenir député de Paris .
Ah ! je ne me nomme pas César pour rien , tout m' a réussi . C' est inimaginable , au dehors chacun m' accorde de la capacité ; mais ici , la seule personne à laquelle je veux tant plaire que je sue sang et eau pour la rendre heureuse , est précisément celle qui me prend pour une bête .
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Ces phrases , quoique scindées par des repos éloquents et lancées comme des balles , ainsi que font tous ceux qui se posent dans une attitude récriminatoire , exprimaient un attachement si profond , si soutenu , que Mme Birotteau fut intérieurement attendrie ; mais elle se servit , comme toutes les femmes , de l' amour qu' elle inspirait pour avoir gain de cause .
- Eh bien ! Birotteau , dit - elle , si tu m' aimes , laisse - moi donc être heureuse à mon goût . Ni toi , ni moi , nous n' avons reçu d' éducation , nous ne savons point parler ni faire un serviteur à la manière des gens du monde , comment veut - on que nous réussissions dans les places du gouvernement ? Je serai heureuse aux Trésorières , moi ! J' ai toujours aimé les bêtes et les petits oiseaux , je passerai très bien ma vie à prendre soin des poulets , à faire la fermière .
Vendons notre fonds , marions Césarine , et laisse ton Imogène .
Nous viendrons passer les hivers à Paris , chez notre gendre , nous serons heureux , rien ni dans la politique ni dans le commerce ne pourra changer notre manière d' être .
Pourquoi vouloir écraser les autres ? Notre fortune actuelle ne nous suffit - elle pas ? Quand tu seras millionnaire , dîneras - tu deux fois ?
CESAR BIROTTEAU (VI, paris)
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