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Béatrix tomba comme morte sur son divan . Alors elle transigea pour avoir un lendemain ; elle remit le départ huit jours sous prétexte d' affaires , et se jura de défendre sa porte à Calyste si elle pouvait apaiser La Palférine , car tels sont les épouvantables calculs et les brûlantes angoisses que cachent ces existences sorties des rails sur lesquels roule le grand convoi social .
Lorsque Béatrix fut seule , elle se trouva si malheureuse , si profondément humiliée , qu' elle se mit au lit ; elle était malade , le combat violent qui lui déchirait le coeur lui parut avoir une réaction horrible , elle envoya chercher le médecin ; mais , en même temps , elle fit remettre chez La Palférine la lettre suivante , où elle se vengea de Calyste avec une sorte de rage .
" Mon ami , venez me voir , je suis au désespoir . Antoine vous a renvoyé quand votre arrivée eût mis fin à l' un des plus horribles cauchemars de ma vie en me délivrant d' un homme que je hais , et que je ne reverrai plus jamais , je l' espère .
Je n' aime que vous au monde , et je n' aimerai plus que vous , quoique j' aie le malheur de ne pas vous plaire autant que je le voudrais ... "
Elle écrivit quatre pages qui , commençant ainsi , finissaient par une exaltation beaucoup trop poétique pour être typographiée , mais où Béatrix se compromettait tant qu' elle la termina par : " Suis - je assez à ta merci ? Ah ! rien ne me coûtera pour te prouver combien tu es aimé .
" Et elle signa , ce qu' elle n' avait jamais fait ni pour Calyste ni pour Conti .
Le lendemain , à l' heure où le jeune comte vint chez la marquise , elle était au bain ; Antoine le pria d' attendre . à son tour , il fit renvoyer Calyste , qui tout affamé d' amour vint de bonne heure , et qu' il regarda par la fenêtre au moment où il remontait en voiture désespéré .
" Ah ! Charles , dit la marquise en entrant dans son salon , vous m' avez perdue ! ...
- Je le sais bien , madame , répondit tranquillement La Palférine . Vous m' avez juré que vous n' aimiez que moi , vous m' avez offert de me donner une lettre dans laquelle vous écririez les motifs que vous auriez de vous tuer , afin qu' en cas d' infidélité je pusse vous empoisonner sans avoir à craindre de la justice humaine , comme si des gens supérieurs avaient besoin de recourir au poison pour se venger .

BEATRIX (II, privé)
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