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à Paris , il existe presque autant de royautés qu' il s' y trouve d' arts différents , de spécialités morales , de sciences , de professions ; et le plus fort de ceux qui les pratiquent a sa majesté qui lui est propre , il est apprécié , respecté par ses pairs qui connaissent les difficultés du métier , et dont l' admiration est acquise à qui peut s' en jouer . Maxime était aux yeux des rats et des courtisanes un homme excessivement puissant et capable , car il avait su se faire prodigieusement aimer . Il était admiré par tous les gens qui savaient combien il est difficile de vivre à Paris en bonne intelligence avec des créanciers ; enfin il n' avait pas eu d' autre rival en élégance , en tenue et en esprit , que l' illustre de Marsay qui l' avait employé dans des missions politiques .
Ceci suffit à expliquer son entrevue avec la duchesse , son prestige chez Mme Schontz , et l' autorité de sa parole dans une conférence qu' il comptait avoir sur le boulevard des Italiens avec un jeune homme déjà célèbre , quoique nouvellement entré dans la Bohème de Paris .
Le lendemain , à son lever , Maxime de Trailles entendit annoncer Finot qu' il avait mandé la veille , il le pria d' arranger le hasard d' un déjeuner au Café Anglais où Finot , Couture et Lousteau babilleraient près de lui .
Finot , qui se trouvait vis - à - vis du comte de Trailles dans la position d' un sous - lieutenant devant un maréchal de France , ne pouvait lui rien refuser ; il était d' ailleurs trop dangereux de piquer ce lion .
Aussi , quand Maxime vint déjeuner , vit - il Finot et ses deux amis attablés , la conversation avait déjà mis le cap sur Mme Schontz . Couture , bien manoeuvré par Finot et par Lousteau qui fut à son insu le compère de Finot , apprit au comte de Trailles tout ce qu' il voulait savoir sur Mme Schontz .
Vers une heure , Maxime mâchonnait son cure - dent en causant avec du Tillet sur le perron de Tortoni où se tient , entre spéculateurs , cette petite Bourse , préface de la grande . Il paraissait occupé d' affaires , mais il attendait le jeune comte de La Palférine qui , dans un temps donné , devait passer par là .
Le boulevard des Italiens est aujourd' hui ce qu' était le Pont - Neuf en 1650 , tous les gens connus le traversent au moins une fois par jour .
En effet , au bout de dix minutes , Maxime quitta le bras de du Tillet en faisant un signe de tête au jeune prince de la bohème , et lui dit en souriant : " à moi , comte , deux mots ! ... "

BEATRIX (II, privé)
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