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J' ai de la droiture , et c' est la perversité qui plaît ! Je suis loyalement passionnée comme une honnête femme , et il faudrait être manégée , tricheuse et façonnière comme une comédienne de province . Je suis ivre du bonheur d' avoir pour mari l' un des plus charmants hommes de France , je lui dis naïvement combien il est distingué , combien ses mouvements sont gracieux , je le trouve beau ; pour lui plaire il faudrait détourner la tête avec une feinte horreur , ne rien aimer de l' amour , et lui dire que sa distinction est tout bonnement un air maladif , une tournure de poitrinaire , lui vanter les épaules de l' Hercule Farnèse , le mettre en colère et me défendre , comme si j' avais besoin d' une lutte pour cacher au moment du bonheur quelques - unes de ces imperfections qui peuvent tuer l' amour .
J' ai le malheur d' admirer les belles choses sans songer à me rehausser par la critique amère et envieuse de tout ce qui reluit de poésie et de beauté .
Je n' ai pas besoin de me faire dire en vers et en prose par Canalis et Nathan , que je suis une intelligence supérieure ! Je suis une pauvre enfant naïve , je ne connais que Calyste .
Ah ! si j' avais couru le monde comme elle , si j' avais comme elle dit : " Je t' aime ! " dans toutes les langues de l' Europe , on me consolerait , on me plaindrait , on m' adorerait , et je servirais le régal macédonien d' un amour cosmopolite ! On ne vous sait gré de vos tendresses que quand vous les avez mises en relief par des méchancetés .
Enfin , moi , noble femme , il faut que je m' instruise de toutes les impuretés , de tous les calculs des filles ! ... Et Calyste qui est la dupe de ces singeries ! ... Oh ! ma mère ! oh ! ma chère Clotilde , je me sens blessée à mort .
Ma fierté est une trompeuse égide , je suis sans défense contre la douleur , j' aime toujours mon mari comme une folle et pour le ramener à moi , je devrais emprunter à l' indifférence toutes ses clartés .
Niaise , lui dit à l' oreille Clotilde , aie l' air de vouloir te venger ...
Je veux mourir irréprochable , et sans l' apparence d' un tort , répondit Sabine . Notre vengeance doit être digne de notre amour .
Mon enfant , dit la duchesse à sa fille , une mère doit voir la vie un peu plus froidement que tu ne la vois . L' amour n' est pas le but , mais le moyen de la famille ; ne va pas imiter cette pauvre petite baronne de Macumer .

BEATRIX (II, privé)
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