----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Enfin son dépérissement fut bientôt sensible . La duchesse , excellente mère , quoique sa dévotion fût devenue de plus en plus portugaise , aperçut une cause mortelle dans l' état véritablement maladif où se complaisait Sabine .
Elle savait l' intimité réglée existant entre Béatrix et Calyste . Elle eut soin d' attirer sa fille chez elle pour essayer de panser les plaies de ce coeur , et de l' arracher surtout à son martyre ; mais Sabine garda pendant quelque temps le plus profond silence sur ses malheurs en craignant qu' on n' intervînt entre elle et Calyste .
Elle se disait heureuse ! ... Au bout du malheur , elle retrouvait sa fierté , toutes ses vertus ! Mais , après un mois pendant lequel Sabine fut caressée par sa soeur Clotilde et par sa mère , elle avoua ses chagrins , confia ses douleurs , maudit la vie , et déclara qu' elle voyait venir la mort avec une joie délirante .
Elle pria Clotilde , qui voulait rester fille , de se faire la mère du petit Calyste , le plus bel enfant que jamais race royale eût pu désirer pour héritier présomptif .
Un soir , en famille , entre sa jeune soeur Athénaïs dont le mariage avec le vicomte de Grandlieu devait se faire à la fin du carême , entre Clotilde et la duchesse , Sabine jeta les cris suprêmes de l' agonie du coeur , excités par l' excès d' une dernière humiliation .
" Athénaïs , dit - elle en voyant partir vers les onze heures le jeune vicomte Juste de Grandlieu , tu vas te marier , que mon exemple te serve . Garde - toi comme d' un crime de déployer tes qualités , résiste au plaisir de t' en parer pour plaire à Juste .
Sois calme , digne et froide , mesure le bonheur que tu donneras sur celui que tu recevras ! C' est infâme , mais c' est nécessaire . Vois ? ... je péris par mes qualités .
Tout ce que je me sens de beau , de saint , de grand , toutes mes vertus sont des écueils sur lesquels s' est brisé mon bonheur . Je cesse de plaire parce que je n' ai pas trente - six ans ! Aux yeux de certains hommes , c' est une infériorité que la jeunesse ! Il n' y a rien à deviner sur une figure naïve .
Je ris franchement , et c' est un tort ! quand , pour séduire , on doit savoir préparer ce demi - sourire mélancolique des anges tombés qui sont forcés de cacher des dents longues et jaunes .
Un teint frais est monotone ! l' on préfère un enduit de poupée fait avec du rouge , du blanc de baleine et du cold cream .

BEATRIX (II, privé)
Page: 887