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L' état du cheval dont la bouche écumait la frappa . " D' où vient - il ? " Cette interrogation lui fut soufflée dans l' oreille par cette puissance qui n' est pas la conscience , qui n' est pas le démon , qui n' est pas l' ange ; mais qui voit , qui pressent , qui nous montre l' inconnu , qui fait croire à des êtres moraux , à des créatures nées dans notre cerveau , allant et venant , vivant dans la sphère invisible des idées .
" D' où viens - tu donc , cher ange ? dit - elle à Calyste au - devant de qui elle descendit jusqu' au premier palier de l' escalier . Abd - el - Kader est presque fourbu , tu ne devais être qu' un instant dehors , et je t' attends depuis trois heures ... "
" Allons , se dit Calyste qui faisait des progrès dans la dissimulation , je m' en tirerai par un cadeau . " " Chère nourrice , répondit - il tout haut à sa femme en la prenant par la taille avec plus de câlinerie qu' il n' en eût déployé s' il n' eût pas été coupable , je le vois , il est impossible d' avoir un secret , quelque innocent qu' il soit , pour une femme qui nous aime ...
On ne se dit pas de secrets dans un escalier , répondit - elle en riant . Viens . "
Au milieu du salon qui précédait la chambre à coucher , elle vit dans une glace la figure de Calyste qui ne se sachant pas observé laissait paraître sa fatigue et ses vrais sentiments en ne souriant plus .
" Le secret ! ... dit - elle en se retournant .
Tu as été d' un héroïsme de nourrice qui me rend plus cher encore l' héritier présomptif des du Guénic , et j' ai voulu te faire une surprise , absolument comme un bourgeois de la rue Saint - Denis . On finit en ce moment pour toi une toilette à laquelle ont travaillé des artistes , ma mère et ma tante Zéphirine y ont contribué ... "
Sabine enveloppa Calyste de ses bras , le tint serré sur son coeur , la tête dans son cou , faiblissant sous le poids du bonheur , non pas à cause de la toilette , mais à cause du premier soupçon dissipé .
Ce fut un de ces élans magnifiques qui se comptent et que ne peuvent pas prodiguer tous les amours , même excessifs , car la vie serait trop promptement brûlée . Les hommes devraient alors tomber aux pieds des femmes pour les adorer , car c' est un sublime où les forces du coeur et de l' intelligence se versent comme les eaux des nymphes architecturales jaillissent des urnes inclinées .
Sabine fondit en larmes .

BEATRIX (II, privé)
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