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" Ah ! chère maman , au bout de trois mois connaître la jalousie . Voilà mon coeur bien complet , j' y sens une haine profonde et un profond amour ! Je suis plus que trahie , je ne suis pas aimée ! ... Suis - je heureuse d' avoir une mère , un coeur où je puisse crier à mon aise ! ... Nous autres femmes , qui sommes encore un peu jeunes filles , il suffit qu' on nous dise : " Voici une clef rouillée de souvenirs parmi toutes celles de votre palais , entrez partout , jouissez de tout , mais gardez - vous d' aller aux Touches ! " pour que nous entrions là , les pieds chauds , les yeux allumés de la curiosité d' Eve . Quelle irritation Mlle des Touches avait mise dans mon amour ! Mais aussi pourquoi m' interdire les Touches ? Qu' est - ce qu' un bonheur comme le mien qui dépendrait d' une promenade , d' un séjour dans un bouge de Bretagne ? Et qu' ai - je à craindre ? Enfin , joignez aux raisons de Mme Barbe - Bleue le désir qui mord toutes les femmes de savoir si leur pouvoir est précaire ou solide , et vous comprendrez comment un jour j' ai demandé d' un petit air indifférent : " Qu' est - ce que les Touches ? Les Touches sont à vous , m' a dit ma divine belle - mère .
Si Calyste n' avait jamais mis le pied aux Touches ! ... s' écria ma tante Zéphirine en hochant la tête .
Mais il ne serait pas mon mari , dis - je à ma tante .
Vous savez donc ce qui s' y est passé ? m' a répliqué finement ma belle - mère .
C' est un lieu de perdition , a dit Mlle de Pen - Hoël , Mlle des Touches y a fait bien des péchés dont elle demande maintenant pardon à Dieu .
Cela n' a - t - il pas sauvé l' âme de cette noble fille , et fait la fortune d' un couvent ? s' est écrié le chevalier du Halga , l' abbé Grimont m' a dit qu' elle avait donné cent mille francs aux dames de la Visitation .
Voulez - vous aller aux Touches ? m' a demandé ma belle - mère , ça vaut la peine d' être vu . Non ! non " , ai - je dit vivement . Cette petite scène ne vous semble - t - elle pas une page de quelque drame diabolique ? elle est revenue sous vingt prétextes .
Enfin , ma belle - mère m' a dit : " Je comprends pourquoi vous n' allez pas aux Touches , vous avez raison .
" Oh ! vous avouerez , maman , que ce coup de poignard involontairement donné vous aurait décidée à savoir si votre bonheur reposait sur des bases si frêles qu' il dût périr sous tel ou tel lambris .
Il faut rendre justice à Calyste , il ne m' a jamais proposé de visiter cette chartreuse devenue son bien . Nous sommes des créatures dénuées de sens , dès que nous aimons ; car ce silence , cette réserve m' ont piquée , et je lui ai dit un jour : " Que crains - tu donc de voir aux Touches que toi seul n' en parles pas ? ... Allons - y " , dit - il .

BEATRIX (II, privé)
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