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Le saint évêque a donc bien fait de rendre sa règle austère pour l' intelligence et terrible contre la volonté ! ... Voilà ce que je désirais , car ma tête est la vraie coupable , elle m' a trompée sur mon coeur jusqu' à cet âge fatal de quarante ans où si l' on est pendant quelques moments quarante fois plus heureuse que les jeunes femmes , on est plus tard cinquante fois plus malheureuse qu' elles ... Eh bien , mon enfant , es - tu contente ? m' a - t - elle demandé en cessant avec un visible plaisir de parler d' elle . Vous me voyez dans l' enchantement de l' amour et du bonheur ! lui ai - je répondu . Calyste est aussi bon et naïf qu' il est noble et beau , m' a - t - elle dit gravement . Je t' ai instituée mon héritière , tu possèdes , outre ma fortune , le double idéal que j' ai rêvé ... Je m' applaudis de ce que j' ai fait , a - t - elle repris après une pause .
Maintenant mon enfant , ne t' abuse pas . Vous avez facilement saisi le bonheur , vous n' aviez que la main à étendre , mais pense à le conserver .
Quand tu ne serais venue ici que pour en remporter les conseils de mon expérience , ton voyage serait bien payé . Calyste subit en ce moment une passion communiquée , tu ne l' as pas inspirée .
Pour rendre ta félicité durable , tâche , ma petite , d' unir ce principe au premier . Dans votre intérêt à tous deux , essaie d' être capricieuse , sois coquette , un peu dure , il le faut .
Je ne te conseille pas d' odieux calculs , ni la tyrannie , mais la science . Entre l' usure et la prodigalité , ma petite , il y a l' économie . Sache prendre honnêtement un peu d' empire sur Calyste .
Voici les dernières paroles mondaines que je prononcerai , je les tenais en réserve pour toi , car j' ai tremblé dans ma conscience de t' avoir sacrifiée pour sauver Calyste ! attache - le bien à toi , qu' il ait des enfants , qu' il respecte en toi leur mère ... Enfin , me dit - elle d' une voix émue , arrange - toi de manière à ce qu' il ne revoie jamais Béatrix ! ... " Ce nom nous a plongées toutes les deux dans une sorte de torpeur , et nous sommes restées les yeux dans les yeux l' une de l' autre échangeant la même inquiétude vague .
" Retournez - vous à Guérande ? me demanda - t - elle .
Oui , lui dis - je .
Eh bien , n' allez jamais aux Touches ... J' ai eu tort de vous donner ce bien . Et pourquoi ? Enfant ! Les Touches sont pour toi le cabinet de Barbe - Bleue , car il n' y a rien de plus dangereux que de réveiller une passion qui dort .
"
" Je vous donne en substance , chère mère , le sens de notre conversation . Si Mlle des Touches m' a fait beaucoup causer , elle m' a donné d' autant plus à penser que , dans l' enivrement de ce voyage et de mes séductions avec mon Calyste , j' avais oublié la grave situation morale dont je vous parlais dans ma première lettre .

BEATRIX (II, privé)
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