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" Après avoir joué le rôle d' une châtelaine adorée de ses vassaux comme si la révolution de 1830 et celle de 1789 n' avaient jamais abattu de bannières , après des cavalcades dans les bois , des haltes dans les fermes , des dîners sur de vieilles tables et sur du linge centenaire pliant sous des platées homériques servies dans de la vaisselle antédiluvienne , après avoir bu des vins exquis dans des gobelets comme en manient les faiseurs de tours , et des coups de fusil au dessert ! et des Vive les du Guénic à étourdir ! et des bals dont tout l' orchestre est un biniou dans lequel un homme souffle pendant des dix heures de suite ! et des bouquets ! et des jeunes mariées qui se sont fait bénir par nous ! et de bonnes lassitudes dont le remède se trouve au lit en des sommeils que je ne connaissais pas , et des réveils délicieux où l' amour est radieux comme le soleil qui rayonne sur vous et scintille avec mille mouches qui bourdonnent en bas breton ! ... enfin , après un grotesque séjour au château du Guénic où les fenêtres sont des portes cochères , et où les vaches pourraient tondre les prairies poussées dans les salles , mais que nous avons juré d' arranger , de réparer , pour y venir tous les ans aux acclamations des gars du clan de Guénic dont l' un portait notre bannière , ouf ! je suis à Nantes ! ...
" Ah ! quelle journée que celle de notre arrivée au Guénic ! Le recteur est venu , ma mère , avec son clergé , tous couronnés de fleurs , nous recevoir , nous bénir en exprimant une joie ... j' en ai les larmes aux yeux en t' écrivant .
Et ce fier Calyste , qui jouait son rôle de seigneur comme un personnage de Walter Scott . Monsieur recevait les hommages comme s' il se trouvait en plein treizième siècle . J' ai entendu les filles , les femmes se disant : " Quel joli seigneur nous avons ! " comme dans un choeur d' opéra - comique .
Les Anciens discutaient entre eux la ressemblance de Calyste avec les du Guénic qu' ils avaient connus .
Ah ! la noble et sublime Bretagne , quel pays de croyance et de religion ! Mais le progrès la guette , on y fait des ponts , des routes ; les idées viendront , et adieu le sublime . Les paysans ne seront certes jamais ni si libres ni si fiers que je les ai vus , quand on leur aura prouvé qu' ils sont les égaux de Calyste , si toutefois ils veulent le croire .

BEATRIX (II, privé)
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