----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Questionné par l' artiste , Calyste raconta tout ce qui s' était passé pendant ces trois semaines aux Touches , et fut enchanté de Conti , qui dissimulait sa rage sous une charmante bonhomie .
" Remontons , dit - il . Les femmes sont défiantes , elles ne s' expliqueraient pas comment nous restons ensemble sans nous prendre aux cheveux , elles pourraient venir nous écouter . Je vous servirai sur les deux toits , mon cher enfant .
Je vais être insupportable , grossier , jaloux avec la marquise , je la soupçonnerai perpétuellement de me trahir , il n' y a rien de mieux pour déterminer une femme à la trahison ; vous serez heureux et je serai libre .
Jouez ce soir le rôle d' un amoureux contrarié , moi je ferai l' homme soupçonneux et jaloux . Plaignez cet ange d' appartenir à un homme sans délicatesse , pleurez ! Vous pouvez pleurer , vous êtes jeune .
Hélas ! moi , je ne puis plus pleurer , c' est un grand avantage de moins . "
Calyste et Conti remontèrent . Le musicien , sollicité par son jeune rival de chanter un morceau , chanta le plus grand chef - d' oeuvre musical qui existe pour les exécutants , le fameux Pria che spunti l' aurora , que Rubini lui - même n' entame jamais sans trembler , et qui fut souvent le triomphe de Conti .
Jamais il ne fut plus extraordinaire qu' en ce moment où tant de sentiments bouillonnaient dans sa poitrine .
Calyste était en extase . Au premier mot de cette cavatine , l' artiste lança sur la marquise un regard qui donnait aux paroles une signification cruelle et qui fut entendue . Camille , qui accompagnait , devina ce commandement qui fit baisser la tête à Béatrix ; elle regarda Calyste et pensa que l' enfant était tombé dans quelque piège malgré ses avis .
Elle en eut la certitude quand l' heureux Breton vint dire adieu à Béatrix en lui baisant la main et en la lui serrant avec un petit air confiant et rusé .
Quand Calyste atteignit Guérande , la femme de chambre et les gens chargeaient la voiture de voyage de Conti , qui , dès l' aurore , comme il l' avait dit , emmenait jusqu' à la poste Béatrix avec les chevaux de Camille .
Les ténèbres permirent à Mme de Rochefide de regarder Guérande dont les tours , blanchies par le jour , brillaient au milieu du crépuscule , et de se livrer à sa profonde tristesse : elle laissait là l' une des plus belles fleurs de la vie , un amour comme le rêvent les plus pures jeunes filles .

BEATRIX (II, privé)
Page: 826