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" Mais , dit - elle , je ne m' appartiens pas , je suis plus liée par ma volonté que je ne l' étais par la loi . Soyez donc puni de mon malheur , et contentez - vous de savoir que nous en souffrirons ensemble . Dante n' a jamais revu Béatrix . Pétrarque n' a jamais possédé sa Laure . Ces désastres n' atteignent que de grandes âmes .
Ah ! si je suis abandonnée , si je tombe de mille degrés de plus dans la honte et dans l' infamie , si ta Béatrix est cruellement méconnue par le monde qui lui sera horrible , si elle est la dernière des femmes ! ... alors , enfant adoré , dit - elle en lui prenant la main , tu sauras qu' elle est la première de toutes , qu' elle pourra s' élever jusqu' aux cieux appuyée sur toi ; mais alors , ami , dit - elle en lui jetant un regard sublime , quand tu voudras la précipiter , ne manque pas ton coup : après ton amour , la mort ! "
Calyste tenait Béatrix par la taille , il la serra sur son coeur . Pour confirmer ses douces paroles , Mme de Rochefide déposa sur le front de Calyste le plus chaste et le plus timide de tous les baisers .
Puis ils redescendirent et revinrent lentement , causant comme des gens qui se sont parfaitement entendus et compris , elle croyant avoir la paix , lui ne doutant plus de son bonheur , et se trompant l' un et l' autre .
Calyste , d' après les observations de Camille , espérait que Conti serait enchanté de cette occasion de quitter Béatrix . La marquise , elle , s' abandonnait au vague de sa position , attendant un hasard .
Calyste était trop ingénu , trop aimant pour inventer le hasard . Ils arrivèrent tous deux dans la situation d' âme la plus délicieuse , et rentrèrent aux Touches par la porte du jardin , Calyste en avait pris la clef .
Il était environ six heures du soir . Les enivrantes senteurs , la tiède atmosphère , les couleurs jaunâtres des rayons du soir , tout s' accordait avec leurs dispositions et leurs discours attendris .
Leur pas était égal et harmonieux comme est la démarche des amants , leur mouvement accusait l' union de leur pensée . Il régnait aux Touches un si grand silence que le bruit de la porte en s' ouvrant et se fermant y retentit et dut se faire entendre dans tout le jardin .
Comme Calyste et Béatrix s' étaient tout dit et que leur promenade pleine d' émotions les avait lassés , ils venaient doucement et sans rien dire .
Tout à coup , au tournant d' une allée , Béatrix éprouva le plus horrible saisissement , cet effroi communicatif que cause la vue d' un reptile et qui glaça Calyste avant qu' il n' en vît la cause .

BEATRIX (II, privé)
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