----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Elle vivait dans une douce et tiède atmosphère de sentiments inconnus où elle se trouvait agrandie , élevée ; elle entrait dans les cieux où la Bretagne a , de tout temps , mis la femme . Elle savourait les adorations respectueuses de cet enfant dont le bonheur lui coûtait peu de chose , car un geste , un regard , une parole satisfaisaient Calyste .
Ce haut prix donné par le coeur à ces riens la touchait excessivement . Son gant effleuré pouvait devenir pour cet ange plus que toute sa personne n' était pour celui par qui elle aurait dû être adorée .
Quel contraste ! Quelle femme aurait pu résister à cette constante déification ? Elle était sûre d' être obéie et comprise .
Elle eût dit à Calyste de risquer sa vie pour le moindre de ses caprices , il n' eût même pas réfléchi . Aussi Béatrix prit - elle je ne sais quoi de noble et d' imposant , elle vit l' amour du côté de ses grandeurs , elle y chercha comme un point d' appui pour demeurer la plus magnifique de toutes les femmes aux yeux de Calyste , sur qui elle voulut avoir un empire éternel .
Ses coquetteries furent alors d' autant plus tenaces qu' elle se sentit plus faible .
Elle joua la malade pendant toute une semaine avec une charmante hypocrisie . Combien de fois ne fit - elle pas le tour du tapis vert qui s' étendait devant la façade des Touches sur le jardin , appuyée sur le bras de Calyste et rendant alors à Camille les souffrances qu' elle lui avait données pendant la première semaine de son séjour .
" Ah ! ma chère , tu lui fais faire le grand tour " , dit Mlle des Touches à la marquise .
Avant la promenade au Croisic , un soir ces deux femmes devisaient sur l' amour et riaient des différentes manières dont s' y prenaient les hommes pour faire leurs déclarations , en s' avouant à elles - mêmes que les plus habiles et naturellement les moins aimants ne s' amusaient pas à se promener dans le labyrinthe de la sensiblerie , et avaient raison , en sorte que les gens qui aiment le mieux étaient pendant un certain temps les plus maltraités .
" Ils s' y prennent comme La Fontaine pour aller à l' Académie ! " dit alors Camille .
Son mot rappelait cette conversation à la marquise en lui reprochant son machiavélisme .
Mme de Rochefide avait une puissance absolue pour contenir Calyste dans les bornes où elle voulait qu' il se tînt , elle lui rappelait d' un geste ou d' un regard son horrible violence au bord de la mer .

BEATRIX (II, privé)
Page: 815