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Écoutez , Calyste , il faut en finir , dit la marquise en regagnant le chemin sablé . Peut - être avons - nous atteint le seul lieu propice à dire ces choses , car jamais de ma vie je n' ai vu la nature plus en harmonie avec mes pensées . J' ai vu l' Italie , où tout parle d' amour ; j' ai vu la Suisse , où tout est frais et exprime un vrai bonheur , un bonheur laborieux ; où la verdure , les eaux tranquilles , les lignes les plus riantes sont opprimées par les Alpes couronnées de neige ; mais je n' ai rien vu qui peigne mieux l' ardente aridité de ma vie que cette petite plaine desséchée par les vents de mer , corrodée par les vapeurs marines , où lutte une triste agriculture en face de l' immense Océan , en face des bouquets de la Bretagne d' où s' élèvent les tours de votre Guérande .
Eh bien , Calyste , voilà Béatrix .
Ne vous y attachez donc point . Je vous aime , mais je ne serai jamais à vous d' aucune manière , car j' ai la conscience de ma désolation intérieure .
Ah ! vous ne savez pas à quel point je suis dure pour moi - même en vous parlant ainsi . Non , vous ne verrez pas votre idole , si je suis une idole , amoindrie , elle ne tombera pas de la hauteur où vous la mettez .
J' ai maintenant en horreur une passion que désavouent le monde et la religion , je ne veux plus être humiliée ni cacher mon bonheur ; je reste attachée où je suis , je serai le désert sablonneux et sans végétation , sans fleurs ni verdure que voici .
Et si vous étiez abandonnée ? dit Calyste .
Eh bien , j' irai mendier ma grâce , je m' humilierai devant l' homme que j' ai offensé , mais je ne courrai jamais le risque de me jeter dans un bonheur que je sais devoir finir .
Finir " , s' écria Calyste .
La marquise interrompit le dithyrambe auquel allait se livrer son amant en répétant : Finir ! d' un ton qui lui imposa silence .
Cette contradiction émut chez le jeune homme une de ces muettes fureurs internes que connaissent seuls ceux qui ont aimé sans espoir . Béatrix et lui firent environ trois cents pas dans un profond silence , ne regardant plus ni la mer , ni les roches , ni les champs du Croisic .
" Je vous rendrais si heureuse ! dit Calyste .
Tous les hommes commencent par nous promettre le bonheur , et ils nous lèguent l' infamie , l' abandon , le dégoût . Je n' ai rien à reprocher à celui à qui je dois être fidèle ; il ne m' a rien promis , je suis allée à lui ; mais le seul moyen qui me reste pour amoindrir ma faute est de la rendre éternelle .

BEATRIX (II, privé)
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