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" Et que m' importe la race des du Guénic par le temps où nous vivons , chère Béatrix ! Mon nom est Béatrix , le bonheur de Béatrix est mon bonheur , sa vie ma vie , et toute ma fortune est dans son coeur . Nos terres sont engagées depuis deux siècles , elles peuvent rester ainsi pendant deux autres siècles ; nos fermiers les gardent , personne ne peut les prendre . Vous voir , vous aimer , voilà ma religion . Me marier ! cette idée m' a bouleversé le coeur .
Y a - t - il deux Béatrix ? Je ne me marierai qu' avec vous , j' attendrai vingt ans s' il le faut , je suis jeune , et vous serez toujours belle . Ma mère est une sainte , je ne dois pas la juger .
Elle n' a pas aimé ! Je sais maintenant combien elle a perdu , et quels sacrifices elle a faits . Vous m' avez appris , Béatrix , à mieux aimer ma mère , elle est avec vous dans mon coeur , il n' y aura jamais qu' elle , voilà votre seule rivale , n' est - ce pas vous dire que vous y régnez sans partage ? Ainsi vos raisons n' ont aucune force sur mon esprit .
Quant à Camille , vous n' avez qu' un signe à me faire , je la prierai de vous dire elle - même que je ne l' aime pas ; elle est la mère de mon intelligence , rien de moins , rien de plus .
Dès que je vous ai vue , elle est devenue ma soeur , mon amie ou mon ami , tout ce qu' il vous plaira ; mais nous n' avons pas d' autres droits que celui de l' amitié l' un sur l' autre .
Je l' ai prise pour une femme jusqu' au moment où je vous ai vue . Mais vous m' avez démontré que Camille est un garçon : elle nage , elle chasse , elle monte à cheval , elle fume , elle boit , elle écrit , elle analyse un coeur et un livre , elle n' a pas la moindre faiblesse , elle marche dans sa force ; elle n' a ni vos mouvements déliés , ni votre pas qui ressemble au vol d' un oiseau , ni votre voix d' amour , ni vos regards fins , ni votre allure gracieuse ; elle est Camille Maupin , et pas autre chose ; elle n' a rien de la femme , et vous en avez toutes les choses que j' en aime ; il m' a semblé , dès le premier jour où je vous ai vue , que vous étiez à moi .
Vous rirez de ce sentiment , mais il n' a fait que s' accroître il me semblerait monstrueux que nous fussions séparés : vous êtes mon âme , ma vie , et je ne saurais vivre où vous ne seriez pas .
Laissez - vous aimer ! nous fuirons , nous nous en irons bien loin du monde , dans un pays où vous ne rencontrerez personne , et où vous pourrez n' avoir que moi et Dieu dans le coeur .
Ma mère , qui vous aime , viendra quelque jour vivre auprès de nous .
L' Irlande a des châteaux , et la famille de ma mère m' en prêtera bien un .

BEATRIX (II, privé)
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