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Il voulait lire dans ses yeux , y noyer son regard examiner les légers détails de sa toilette , en aspirer les parfums , écouter la musique de sa voix , suivre l' élégante composition de ses mouvements , embrasser par un coup d' oeil cette taille , enfin la contempler , comme un grand général étudie le champ où se livrera quelque bataille décisive ; il le voulait comme veulent les amants ; il était en proie à un désir qui lui fermait les oreilles , qui lui obscurcissait l' intelligence , qui le jetait dans un état maladif où il ne reconnaissait plus ni obstacles ni distances , où il ne sentait même plus son corps .
Il imagina alors d' aller aux Touches avant l' heure convenue , espérant y rencontrer Béatrix dans le jardin .
Il avait su qu' elle s' y promenait le matin en attendant le déjeuner . Mlle des Touches et la marquise étaient allées voir pendant la matinée les marais salants et le bassin bordé de sable fin où la mer pénètre , et qui ressemble à un lac au milieu des dunes , elles étaient revenues au logis et devisaient en tournant dans les petites allées jaunes du boulingrin .
" Si ce paysage vous intéresse , lui dit Camille , il faut aller avec Calyste faire le tour du Croisic . Il y a là des roches admirables , des cascades de granit , de petites baies ornées de cuves naturelles , des choses surprenantes de caprices , et puis la mer avec ses milliers de fragments de marbre , un monde d' amusements .
Vous verrez des femmes faisant du bois , c' est - à - dire collant des bouses de vache le long des murs pour les dessécher et les entasser comme les mottes à Paris ; puis , l' hiver , on se chauffe de ce bois - là .
Vous risquez donc Calyste , dit en riant la marquise et d' un ton qui prouvait que la veille Camille en boudant Béatrix l' avait contrainte à s' occuper de Calyste .
Ah ! ma chère , quand vous connaîtrez l' âme angélique d' un pareil enfant , vous me comprendrez . Chez lui , la beauté n' est rien , il faut pénétrer dans ce coeur pur , dans cette naïveté surprise à chaque pas fait dans le royaume de l' amour .
Quelle foi ! quelle candeur ! quelle grâce ! Les anciens avaient raison dans le culte qu' ils rendaient à la sainte beauté . Je ne sais quel voyageur nous a dit que les chevaux en liberté prennent le plus beau d' entre eux pour chef .
La beauté , ma chère , est le génie des choses ; elle est l' enseigne que la nature a mise à ses créations les plus parfaites , elle est le plus vrai des symboles , comme elle est le plus grand des hasards .

BEATRIX (II, privé)
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