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De là , se découvrent la pleine mer et la ville du Croisic ; de là , Calyste vit bientôt arriver deux barques pleines d' effets , de paquets , de coffres , sacs de nuit et caisses dont la forme et les dispositions annonçaient aux naturels du pays les choses extraordinaires qui ne pouvaient appartenir qu' à des voyageurs de distinction .
Dans l' une des barques était une jeune femme , en chapeau de paille à voile vert , accompagnée d' un homme . Leur barque aborda la première . Calyste de tressaillir ; mais à leur aspect il reconnut un domestique et une femme de chambre , il n' osa les questionner .
" Venez - vous au Croisic , monsieur Calyste ? " demandèrent les marins qui le connaissaient et auxquels il répondit par un signe de tête négatif , assez honteux d' avoir été nommé .
Calyste fut charmé à la vue d' une caisse couverte en toile goudronnée sur laquelle on lisait : MADAME LA MARQUISE DE ROCHEFIDE . Ce nom brillait à ses yeux comme un talisman , il y sentait je ne sais quoi de fatal ; il savait , sans en pouvoir douter , qu' il aimerait cette femme ; les plus petites choses qui la concernaient l' occupaient déjà , l' intéressaient et piquaient sa curiosité .
Pourquoi ? Dans le brûlant désert de ses désirs infinis et sans objet , la jeunesse n' envoie - t - elle pas toutes ses forces sur la première femme qui s' y présente ? Béatrix avait hérité de l' amour que dédaignait Camille .
Calyste regarda faire le débarquement , tout en jetant de temps en temps les yeux sur Le Croisic , espérant voir une barque sortir du port , venir à ce petit promontoire où mugissait la mer , et lui montrer cette Béatrix déjà devenue dans sa pensée ce qu' était Béatrix pour Dante , une éternelle statue de marbre aux mains de laquelle il suspendrait ses fleurs et ses couronnes .
Il demeurait les bras croisés , perdu dans les méditations de l' attente .
Un fait digne de remarque , et qui cependant n' a point été remarqué , c' est comme nous soumettons souvent nos sentiments à une volonté , combien nous prenons une sorte d' engagement avec nous - mêmes , et comme nous créons notre sort : le hasard n' y a certes pas autant de part que nous le croyons .
" Je ne vois point les chevaux , dit la femme de chambre assise sur une malle .
Et moi je ne vois pas de chemin frayé , dit le domestique .

BEATRIX (II, privé)
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