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Je ne parle de ceci que relativement aux choses du coeur , et non aux choses sociales desquelles j' ai fait un entier sacrifice . Vous pouviez être coquette et volontaire , avoir toutes les grâces de la femme qui aime et peut tout accorder ou tout refuser à son gré ; vous aviez conservé le privilège des caprices , même dans l' intérêt de votre amour et de l' homme qui vous plaisait .
Enfin aujourd' hui , vous avez encore votre propre aveu ; moi je n' ai plus la liberté du coeur , que je trouve toujours délicieuse à exercer en amour , même quand la passion est éternelle .
Je n' ai pas ce droit de quereller en riant , auquel nous tenons tant et avec tant de raison : n' est - ce pas la sonde avec laquelle nous interrogeons le coeur ? Je n' ai pas une menace à faire , je dois tirer tous mes attraits d' une obéissance et d' une douceur illimitées , je dois imposer par la grandeur de mon amour ; j' aimerais mieux mourir que de quitter Gennaro , car mon pardon est dans la sainteté de ma passion .
Entre la dignité sociale et ma petite dignité , qui est un secret pour ma conscience , je n' ai pas hésité .
Si j' ai quelques mélancolies semblables à ces nuages qui passent sur les cieux les plus purs et auxquelles nous autres femmes nous aimons à nous livrer , je les tais , elles ressembleraient à des regrets .
Mon Dieu , j' ai si bien aperçu l' étendue de mes obligations , que je me suis armée d' une indulgence entière ; mais jusqu' à présent Gennaro n' a pas effarouché ma si susceptible jalousie .
Enfin , je n' aperçois point par où ce cher beau génie pourrait faillir .
Je ressemble un peu , chère ange , à ces dévots qui discutent avec leur Dieu , car n' est - ce pas à vous que je dois mon bonheur ? Aussi ne pouvez - vous douter que je pense souvent à vous .
J' ai vu l' Italie , enfin ! comme vous l' avez vue , comme on doit la voir , éclairée dans notre âme par l' amour , comme elle l' est par son beau soleil et par ses chefs - d' oeuvre . Je plains ceux qui sont incessamment remués par les adorations qu' elle réclame à chaque pas , de ne pas avoir une main à serrer , un coeur où jeter l' exubérance des émotions qui s' y calment en s' y agrandissant .
Ces dix - huit mois sont pour moi toute ma vie , et mon souvenir y fera de riches moissons .

BEATRIX (II, privé)
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