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Vous vous croyez aimée , il vous hait , et vous ne savez pourquoi ; mais je le savais , moi : il avait vu la veille une femme , il l' aimait par caprice ; et m' insultait de quelque faux amour , de caresses hypocrites , en me faisant payer cher sa fidélité forcée . Enfin il est insatiable d' applaudissements , il singe tout et se joue de tout ; il feint la joie aussi bien que la douleur ; mais il réussit admirablement .
Il plaît , on l' aime , il peut être admiré quand il le veut . Je l' ai laissé haïssant sa voix , il lui devait plus de succès qu' à son talent de compositeur ; et il préfère être homme de génie comme Rossini à être un exécutant de la force de Rubini .
J' avais fait la faute de m' attacher à lui , j' étais résignée à parer cette idole jusqu' au bout .
Conti , comme beaucoup d' artistes , est friand ; il aime ses aises ses jouissances ; il est coquet , recherché , bien mis ; eh bien , je flattais toutes ses passions , j' aimais cette nature faible et astucieuse .
J' étais enviée , et je souriais parfois de pitié . J' estimais son courage ; il est brave , et la bravoure est , dit - on , la seule vertu qui n' ait pas d' hypocrisie .
En voyage , dans une circonstance , je l' ai vu à l' épreuve : il a su risquer une vie qu' il aime ; mais , chose étrange ! à Paris , je lui ai vu commettre ce que je nomme des lâchetés de pensée .
Mon ami , je savais toutes ces choses . Je dis à la pauvre marquise : " Vous ne savez dans quel abîme vous mettez le pied . Vous êtes le Persée d' une pauvre Andromède , vous me délivrez de mon rocher .
S' il vous aime , tant mieux ! mais j' en doute , il n' aime que lui . " Gennaro fut au septième ciel de l' orgueil . Je n' étais pas marquise , je ne suis pas née Casteran , je fus oubliée en un jour .
Je me donnai le sauvage plaisir d' aller au fond de cette nature . Sûre du dénouement , je voulus observer les détours que ferait Conti . Mon pauvre enfant , je vis en une semaine des horreurs de sentiment , des pantalonnades infâmes .
Je ne veux rien vous en dire , vous verrez cet homme ici . Seulement , comme il sait que je le connais , il me hait aujourd' hui . S' il pouvait me poignarder avec quelque sécurité , je n' existerais pas deux secondes .
Je n' ai jamais dit un mot à Béatrix . La dernière et constante insulte de Gennaro est de croire que je suis capable de communiquer mon triste savoir à la marquise .

BEATRIX (II, privé)
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