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Ainsi , comme je puis faire mon testament de femme au bord de la vieillesse qui m' attend , je vous dirai que j' étais fidèle à Conti , que je l' eusse été jusqu' à la mort , et que cependant je le connaissais . C' est une nature charmante en apparence , et détestable au fond .
Il est charlatan dans les choses du coeur . Il se rencontre des hommes comme Nathan de qui je vous ai déjà parlé , qui sont charlatans d' extérieur et de bonne foi . Ces hommes se mentent à eux - mêmes .
Montés sur leurs échasses , ils croient être sur leurs pieds , et font leurs jongleries avec une sorte d' innocence ; leur vanité est dans leur sang , ils sont nés comédiens , vantards , extravagants de forme comme un vase chinois , ils riront peut - être d' eux - mêmes .
Leur personnalité est d' ailleurs généreuse , et comme l' éclat des vêtements royaux de Murat , elle attire le danger . Mais la fourberie de Conti ne sera jamais connue que de sa maîtresse .
Il a dans son art la célèbre jalousie italienne qui porta le Carlone à assassiner Piola , qui valut un coup de stylet à Paësiello . Cette envie terrible est cachée sous la camaraderie la plus gracieuse .
Conti n' a pas le courage de son vice , il sourit à Meyerbeer et le complimente quand il voudrait le déchirer . Il sent sa faiblesse et se donne les apparences de la force puis il est d' une vanité qui lui fait jouer les sentiments les plus éloignés de son coeur .
Il se donne pour un artiste qui reçoit ses inspirations du ciel . Pour lui l' art est quelque chose de saint et de sacré .
Il est fanatique , il est sublime de moquerie avec les gens du monde ; il est d' une éloquence qui semble partir d' une conviction profonde . C' est un voyant , un démon , un dieu , un ange .
Enfin , quoique prévenu , Calyste , vous serez sa dupe . Cet homme méridional , cet artiste bouillant est froid comme une corde à puits . Écoutez - le : l' artiste est un missionnaire , l' art est une religion qui a ses prêtres et doit avoir ses martyrs .
Une fois parti , Gennaro arrive au pathos le plus échevelé que jamais professeur de philosophie allemande ait dégurgité à son auditoire . Vous admirez ses convictions , il ne croit à rien .
En vous enlevant au ciel par un chant qui semble un fluide mystérieux et qui verse l' amour , il jette sur vous un regard extatique ; mais il surveille votre admiration , il se demande : Suis - je bien un dieu pour eux ? Au même moment parfois il se dit en lui - même : J' ai mangé trop de macaroni .

BEATRIX (II, privé)
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