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C' est bien le lit de bois sculpté , peint en blanc , à dossiers cintrés , surmontés d' Amours se jetant des fleurs , rembourrés , garnis de soie brochée , avec le ciel orné de quatre bouquets de plumes ; la tenture en vraie perse , agencée avec des ganses de soie , des cordes et des noeuds ; la garniture de cheminée en rocaille ; la pendule d' or moulu , entre deux grands vases du premier bleu de Sèvres , montés en cuivre doré ; la glace encadrée dans le même goût ; la toilette Pompadour avec ses dentelles et sa glace ; puis ces meubles si contournés , ces duchesses , cette chaise longue , ce petit canapé sec , la chauffeuse à dossier matelassé , le paravent de laque , les rideaux de soie pareille à celle du meuble doublés de satin rose et drapés par des cordes à puits ; le tapis de la Savonnerie ; enfin toutes les choses élégantes , riches , somptueuses , délicates , au milieu desquelles les jolies femmes du dix - huitième siècle faisaient l' amour .
Le cabinet , entièrement moderne oppose aux galanteries du siècle de Louis XV un charmant mobilier d' acajou : sa bibliothèque est pleine , il ressemble à un boudoir , il a un divan .
Les charmantes futilités de la femme l' encombrent , y occupent le regard d' oeuvres modernes : des livres à secret , des boîtes à mouchoirs et à gants des abat - jour en lithophanies , des statuettes , des chinoiseries , des écritoires , un ou deux albums , des presse - papiers , enfin les innombrables colifichets à la mode .
Les curieux y voient avec une surprise inquiète des pistolets , un narghilé , une cravache , un hamac , une pipe , un fusil de chasse , une blouse , du tabac , un sac de soldat , bizarre assemblage qui peint Félicité .
Toute grande âme , en venant là , sera saisie par les beautés spéciales du paysage qui déploie ses savanes après le parc , dernière végétation du continent . Ces tristes carrés d' eau saumâtre , divisés par les petits chemins blancs sur lesquels se promène le paludier , vêtu tout en blanc , pour ratisser , recueillir le sel et le mettre en mulons ; cet espace que les exhalaisons salines défendent aux oiseaux de traverser , en étouffant aussi tous les efforts de la botanique ; ces sables où l' oeil n' est consolé que par une petite herbe dure , persistante , à fleurs rosées , et par l' oeillet des Chartreux ; ce lac d' eau marine , le sable des dunes et la vue du Croisic , miniature de ville arrêtée comme Venise en pleine mer ; enfin , l' immense océan qui borde les récifs en granit de ses franges écumeuses pour faire encore mieux ressortir leurs formes bizarres , ce spectacle élève la pensée tout en l' attristant , effet que produit à la longue le sublime , qui donne le regret de choses inconnues , entrevues par l' âme à des hauteurs désespérantes .
Aussi ces sauvages harmonies ne conviennent - elles qu' aux grands esprits et aux grandes douleurs .

BEATRIX (II, privé)
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