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Elle revint à Paris avec Conti , le grand musicien , pour lequel elle fit deux livrets d' opéra ; mais elle n' avait plus d' illusions , et devint à l' insu du monde une sorte de Don Juan femelle sans dettes ni conquêtes . Encouragée par le succès , elle publia ses deux volumes de pièces de théâtre qui , du premier coup , placèrent Camille Maupin parmi les illustres anonymes . Elle raconta sa passion trompée dans un petit roman admirable , un des chefs - d' oeuvre de l' époque .
Ce livre , d' un dangereux exemple , fut mis à côté d' Adolphe , horrible lamentation dont la contrepartie se trouvait dans l' oeuvre de Camille .
La délicatesse de sa métamorphose littéraire est encore incomprise .
Quelques esprits fins y voient seuls cette générosité qui livre un homme à la critique , et sauve la femme de la gloire en lui permettant de demeurer obscure . Malgré son désir , sa célébrité s' augmenta chaque jour , autant par l' influence de son salon que par ses reparties , par la justesse de ses jugements , par la solidité de ses connaissances .
Elle faisait autorité , ses mots étaient redits , elle ne put se démettre des fonctions dont elle était investie par la société parisienne .
Elle devint une exception admise . Le monde plia sous le talent et devant la fortune de cette fille étrange ; il reconnut , sanctionna son indépendance , les femmes admirèrent son esprit et les hommes sa beauté .
Sa conduite fut d' ailleurs soumise à toutes les convenances sociales . Ses amitiés parurent purement platoniques . Elle n' eut d' ailleurs rien de la femme auteur .
Mlle des Touches est charmante comme une femme du monde , à propos faible , oisive , coquette , occupée de toilette , enchantée des niaiseries qui séduisent les femmes et les poètes .
Elle comprit très bien qu' après Mme de Staël il n' y avait plus de place dans ce siècle pour une Sapho , et que Ninon ne saurait exister dans Paris sans grands seigneurs ni cour voluptueuse .
Elle est la Ninon de l' intelligence , elle adore l' art et les artistes , elle va du poète au musicien , du statuaire au prosateur . Elle est d' une noblesse , d' une générosité qui arrive à la duperie , tant elle est pleine de pitié pour le malheur , pleine de dédain pour les gens heureux .
Elle vit depuis 1830 dans un cercle choisi , avec des amis éprouvés qui s' aiment tendrement et s' estiment . Aussi loin du fracas de Mme de Staël que des luttes politiques , elle se moque très bien de Camille Maupin , ce cadet de George Sand qu' elle appelle son frère Caïn , car cette gloire récente a fait oublier la sienne .

BEATRIX (II, privé)
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