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Elle put voir de près cette dernière image de l' Empire , admirer la Grande Armée qui vint au Champ - de - Mars , comme à un cirque , saluer son César avant d' aller mourir à Waterloo . L' âme grande et noble de Félicité fut saisie par ce magique spectacle . Les commotions politiques , la féerie de cette pièce de théâtre en trois mois que l' histoire a nommée les Cent - Jours , l' occupèrent et la préservèrent de toute passion , au milieu d' un bouleversement qui dispersa la société royaliste où elle avait débuté .
Les Grandlieu avaient suivi les Bourbons à Gand , laissant leur hôtel à Mlle des Touches .
Félicité , qui ne voulait pas de position subalterne , acheta , pour cent trente mille francs , un des plus beaux hôtels de la rue du Mont - Blanc où elle s' installa quand les Bourbons revinrent en 1815 , et dont le jardin seul vaut aujourd' hui deux millions .
Habituée à se conduire elle - même , Félicité se familiarisa de bonne heure avec l' action qui semble exclusivement départie aux hommes .
En 1816 , elle eut vingt - cinq ans . Elle ignorait le mariage , elle ne le concevait que par la pensée , le jugeait dans ses causes au lieu de le voir dans ses effets , et n' en apercevait que les inconvénients .
Son esprit supérieur se refusait à l' abdication par laquelle la femme mariée commence la vie ; elle sentait vivement le prix de l' indépendance et n' éprouvait que du dégoût pour les soins de la maternité .
Il est nécessaire de donner ces détails pour justifier les anomalies qui distinguent Camille Maupin .
Elle n' a connu ni père ni mère , et fut sa maîtresse dès l' enfance , son tuteur fut un vieil archéologue , le hasard l' a jetée dans le domaine de la science et de l' imagination , dans le monde littéraire , au lieu de la maintenir dans le cercle tracé par l' éducation futile donnée aux femmes , par les enseignements maternels sur la toilette , sur la décence hypocrite , sur les grâces chasseresses du sexe .
Aussi , longtemps avant qu' elle ne devînt célèbre , voyait - on du premier coup d' oeil qu' elle n' avait jamais joué à la poupée .
Vers la fin de l' année 1817 , Félicité des Touches aperçut non pas des flétrissures , mais un commencement de fatigue dans sa personne .
Elle comprit que sa beauté allait s' altérer par le fait de son célibat obstiné , mais elle voulait demeurer belle , car alors elle tenait à sa beauté .
La science lui notifia l' arrêt porté par la nature sur ses créations , lesquelles dépérissent autant par la méconnaissance que par l' abus de ses lois . Le visage macéré de sa tante lui apparut et la fit frémir .

BEATRIX (II, privé)
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