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Jouer ou ne pas jouer , selon les occasions où le panier était plein , entraînait des discussions intérieures où la cupidité luttait avec la peur . On se demandait l' un à l' autre : Irez - vous ? en manifestant des sentiments d' envie contre ceux qui avaient assez beau jeu pour tenter le sort , et des sentiments de désespoir quand il fallait s' abstenir .
Si Charlotte de Kergarouët , généralement taxée de folie , était heureuse dans ses hardiesses , en revenant , sa tante , quand elle n' avait rien gagné , lui marquait de la froideur et lui faisait quelques leçons : elle avait trop de décision dans le caractère , une jeune personne ne devait pas rompre en visière à des gens respectables , elle avait une manière insolente de prendre le panier ou d' aller au jeu ; les moeurs d' une jeune personne exigeaient un peu plus de réserve et de modestie ; on ne riait pas du malheur des autres , etc .
Les plaisanteries éternelles et qui se disaient mille fois par an , mais toujours nouvelles , roulaient sur l' attelage à donner au panier quand il était trop chargé .
On parlait d' atteler des boeufs , des éléphants , des chevaux , des ânes , des chiens .
Après vingt ans , personne ne s' apercevait de ces redites .
La proposition excitait toujours le même sourire .
Il en était de même des mots que le chagrin de voir prendre un panier plein dictait à ceux qui l' avaient engraissé sans en rien prendre . Les cartes se donnaient avec une lenteur automatique .
On causait en poitrinant . Ces dignes et nobles personnes avaient l' adorable petitesse de se défier les unes des autres au jeu . Mlle de Pen - Hoël accusait presque toujours le curé de tricherie quand il prenait un panier .
Il est singulier , disait alors le curé , que je ne triche jamais quand je suis à la mouche . Personne ne lâchait sa carte sur le tapis sans des calculs profonds , sans des regards fins et des mots plus ou moins astucieux , sans des remarques ingénieuses et fines .
Les coups étaient , pensez - le bien , entrecoupés de narrations sur les événements arrivés en ville , ou par les discussions sur les affaires politiques .
Souvent les joueurs restaient un grand quart d' heure , les cartes appuyées en éventail sur leur estomac , occupés à causer . Si , par suite de ces interruptions , il se trouvait un jeton de moins au panier , tout le monde prétendait avoir mis son jeton .
Presque toujours le chevalier complétait l' enjeu , accusé par tous de penser à ses cloches aux oreilles , à sa tête , à ses farfadets , et d' oublier sa mise .

BEATRIX (II, privé)
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