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Avancer un liard pour risquer d' en avoir cinq , de coup en coup , constituait pour la vieille thésauriseuse une opération financière immense , à laquelle elle mettait autant d' action intérieure que le plus avide spéculateur en met pendant la tenue de la Bourse à la hausse et à la baisse des rentes . Par une convention diplomatique , en date de septembre 1825 , après une soirée où Mlle de Pen - Hoël perdit trente - sept sous , le jeu cessait dès qu' une personne en manifestait le désir après avoir dissipé dix sous .
La politesse ne permettait pas de causer à un joueur le petit chagrin de voir jouer la mouche sans qu' il y prît part .
Mais toutes les passions ont leur jésuitisme . Le chevalier et le baron , ces deux vieux politiques , avaient trouvé moyen d' éluder la charte . Quand tous les joueurs désiraient vivement de prolonger une émouvante partie , le hardi chevalier du Halga , l' un de ces garçons prodigues et riches des dépenses qu' ils ne font pas , offrait toujours dix jetons à Mlle de Pen - Hoël ou à Zéphirine quand l' une d' elles ou toutes deux avaient perdu leurs cinq sous , à condition de les lui restituer en cas de gain .
Un vieux garçon pouvait se permettre cette galanterie envers des demoiselles .
Le baron offrait aussi dix jetons aux deux vieilles filles , sous prétexte de continuer la partie .
Les deux avares acceptaient toujours , non sans se faire prier , selon les us et coutumes des filles .
Pour s' abandonner à cette prodigalité , le baron et le chevalier devaient avoir gagné , sans quoi cette offre eût pris le caractère d' une offense . La mouche était brillante quand une demoiselle de Kergarouët tout court était en transit chez sa tante , car là les Kergarouët n' avaient jamais pu se faire nommer Kergarouët - Pen - Hoël par personne , pas même par les domestiques , lesquels avaient à cet égard des ordres formels .
La tante montrait à sa nièce la mouche à faire chez les du Guénic , comme un plaisir insigne .
La petite avait ordre d' être aimable , chose assez facile quand elle voyait le beau Calyste , de qui raffolaient les quatre demoiselles de Kergarouët .
Ces jeunes personnes , élevées en pleine civilisation moderne , tenaient peu à cinq sous et faisaient mouche sur mouche .
Il y avait alors des mouches inscrites dont le total s' élevait quelquefois à cent sous , et qui étaient échelonnées depuis deux sous et demi jusqu' à dix sous . C' était des soirées de grandes émotions pour la vieille aveugle .
Les levées s' appellent des mains à Guérande . La baronne faisait sur le pied de sa belle - soeur un nombre de pressions égal au nombre de mains qui , d' après son jeu , étaient sûres .

BEATRIX (II, privé)
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