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Ce silence profond est l' indice des volontés immuables . Ce dernier effort , ces lueurs d' une énergie à bout avaient causé l' affaiblissement dans lequel était en ce moment le baron . Ce nouvel exil de la famille de Bourbon , aussi miraculeusement chassée que miraculeusement rétablie , lui causait une mélancolie amère .
Vers six heures du soir , au moment où commence cette scène , le baron , qui , selon sa vieille habitude , avait fini de dîner à quatre heures , venait de s' endormir en entendant lire La Quotidienne . Sa tête s' était posée sur le dossier de son fauteuil au coin de la cheminée , du côté du jardin .
Auprès de ce tronc noueux de l' arbre antique et devant la cheminée , la baronne , assise sur une des vieilles chaises offrait le type de ces adorables créatures qui n' existent qu' en Angleterre , en Écosse ou en Irlande .
Là seulement naissent ces filles pétries de lait , à chevelure dorée , dont les boucles sont tournées par la main des anges , car la lumière du ciel semble ruisseler dans leurs spirales avec l' air qui s' y joue .
Fanny O' Brien était une de ces sylphides forte de tendresse , invincible dans le malheur , douce comme la musique de sa voix , pure comme était le bleu de ses yeux , d' une beauté fine , élégante , jolie et douée de cette chair soyeuse à la main , caressante au regard , que ni le pinceau ni la parole ne peuvent peindre .
Belle encore à quarante - deux ans , bien des hommes eussent regardé comme un bonheur de l' épouser à l' aspect des splendeurs de cet août chaudement coloré , plein de fleurs et de fruits , rafraîchi par de célestes rosées .
La baronne tenait le journal d' une main frappée de fossettes , à doigts retroussés et dont les ongles étaient taillés carrément comme dans les statues antiques .
Étendue à demi sans mauvaise grâce ni affectation , sur sa chaise , les pieds en avant pour les chauffer , elle était vêtue d' une robe de velours noir , car le vent avait fraîchi depuis quelques jours .
Le corsage montant moulait des épaules d' un contour magnifique , et une riche poitrine que la nourriture d' un fils unique n' avait pu déformer .
Elle était coiffée de cheveux qui descendaient en ringlets le long de ses joues , et les accompagnaient suivant la mode anglaise . Tordue simplement au - dessus de sa tête et retenue par un peigne d' écaille , cette chevelure , au lieu d' avoir une couleur indécise , scintillait au jour comme des filigranes d' or bruni .

BEATRIX (II, privé)
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