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Le jardin est luxueux dans une si vieille enceinte , il a un demi - arpent environ , ses murs sont garnis d' espaliers ; il est divisé en carrés de légumes , bordés de quenouilles que cultive un domestique male nommé Gasselin , lequel panse les chevaux . Au bout de ce jardin est une tonnelle sous laquelle est un banc .
Au milieu s' élève un cadran solaire . Les allées sont sablées . Sur le jardin , la façade n' a pas de tourelle pour correspondre à celle qui monte le long du pignon .
Elle rachète ce défaut par une colonnette tournée en vis depuis le bas jusqu' en haut , et qui devait jadis supporter la bannière de la famille , car elle est terminée par une espèce de grosse crapaudine en fer rouillé , d' où il s' élève de maigres herbes .
Ce détail , en harmonie avec les vestiges de sculpture , prouve que ce logis fut construit par un architecte vénitien . Cette hampe élégante est comme une signature qui trahit Venise , la chevalerie , la finesse du treizième siècle .
S' il restait des doutes à cet égard , la nature des ornements les dissiperait . Les trèfles de l' hôtel du Guaisnic ont quatre feuilles , au lieu de trois .
Cette différence indique l' école vénitienne adultérée par son commerce avec l' Orient où les architectes à demi moresques , peu soucieux de la grande pensée catholique , donnaient quatre feuilles au trèfle , tandis que les architectes chrétiens demeuraient fidèles à la Trinité .
Sous ce rapport , la fantaisie vénitienne fut hérétique . Si ce logis surprend votre imagination , vous vous demanderez peut - être pourquoi l' époque actuelle ne renouvelle plus ces miracles d' art .
Aujourd' hui les beaux hôtels se vendent , sont abattus et font place à des rues . Personne ne sait si sa génération gardera le logis patrimonial , où chacun passe comme dans une auberge ; tandis qu' autrefois en bâtissant une demeure , on travaillait , on croyait du moins travailler pour une famille éternelle .
De là la beauté des hôtels .
La foi en soi faisait des prodiges autant que la foi en Dieu . Quant aux dispositions et au mobilier des étages supérieurs , ils ne peuvent que se présumer d' après la description de ce rez - de - chaussée , d' après la physionomie et les moeurs de la famille .
Depuis cinquante ans , les du Guaisnic n' ont jamais reçu personne ailleurs que dans les deux pièces où respiraient , comme dans cette cour et dans les accessoires extérieurs de ce logis , l' esprit , la grâce , la naïveté de la vieille et noble Bretagne .

BEATRIX (II, privé)
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