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Une des villes où se retrouve le plus correctement la physionomie des siècles féodaux est Guérande . Ce nom seul réveillera mille souvenirs dans la mémoire des peintres des artistes , des penseurs qui peuvent être allés jusqu' à la côte où gît ce magnifique joyau de féodalité , si fièrement posé pour commander les relais de la mer et les dunes , et qui est comme le sommet d' un triangle aux coins duquel se trouvent deux autres bijoux non moins curieux , Le Croisic et le bourg de Batz . Après Guérande , il n' est plus que Vitré situé au centre de la Bretagne , Avignon dans le midi qui conservent au milieu de notre époque leur intacte configuration du Moyen Age .
Encore aujourd' hui , Guérande est enceinte de ses puissantes murailles : ses larges douves sont pleines d' eau , ses créneaux sont entiers , ses meurtrières ne sont pas encombrées d' arbustes , le lierre n' a pas jeté de manteau sur ses tours carrées ou rondes .
Elle a trois portes où se voient les anneaux des herses , vous n' y entrez qu' en passant sur un pont - levis de bois ferré qui ne se relève plus , mais qui pourrait encore se lever .
La Mairie a été blâmée d' avoir , en 1820 , planté des peupliers le long des douves pour y ombrager la promenade . Elle a répondu que , depuis cent ans , du côté des dunes , la longue et belle esplanade des fortifications qui semblent achevées d' hier avait été convertie en un mail , ombragé d' ormes sous lesquels se plaisent les habitants .
Là , les maisons n' ont point subi de changement , elles n' ont ni augmenté ni diminué .
Nulle d' elles n' a senti sur sa façade le marteau de l' architecte , le pinceau du badigeonneur , ni faibli sous le poids d' un étage ajouté . Toutes ont leur caractère primitif .
Quelques - unes reposent sur des piliers de bois qui forment des galeries sous lesquelles les passants circulent , et dont les planchers plient sans rompre . Les maisons des marchands sont petites et basses , à façades couvertes en ardoises clouées .
Les bois maintenant pourris sont entrés pour beaucoup dans les matériaux sculptés aux fenêtres ; et aux appuis , ils s' avancent au - dessus des piliers en visages grotesques , ils s' allongent en forme de bêtes fantastiques aux angles , animés par la grande pensée de l' art , qui , dans ce temps , donnait la vie à la nature morte .
Ces vieilleries , qui résistent à tout , présentent aux peintres les tons bruns et les figures effacées que leur brosse affectionne .
Les rues sont ce qu' elles étaient il y a quatre cents ans . Seulement , comme la population n' y abonde plus , comme le mouvement social y est moins vif , un voyageur curieux d' examiner cette ville , aussi belle qu' une antique armure complète , pourra suivre non sans mélancolie une rue presque déserte où les croisées de pierre sont bouchées en pisé pour éviter l' impôt .

BEATRIX (II, privé)
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