----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----
Un dévouement absolu , la foi sans bornes , un amour insensé , toutes ces richesses d' un coeur aimant et vrai , ne sont rien ; elles servent à aimer et ne font pas qu' on soit aimé . Par moments je ne comprends pas qu' un fanatisme si ardent n' échauffe pas l' idole ; et quand je rencontre votre oeil sévère et froid , je me sens glacé . C' est votre dédain qui agit et non mon adoration .
Pourquoi ? Vous ne sauriez me haïr autant que je vous aime , le sentiment le plus faible doit - il donc l' emporter sur le plus fort ? J' aimais Félicité de toutes les puissances de mon coeur ; je l' ai oubliée en un jour , en un moment , en vous voyant .
Elle était l' erreur , vous êtes la vérité . Vous avez , sans le savoir , détruit mon bonheur , et vous ne me devez rien en échange . J' aimais Camille sans espoir et vous ne me donnez aucune espérance : rien n' est changé que la divinité .
J' étais idolâtre je suis chrétien , voilà tout . Seulement , vous m' avez appris qu' aimer est le premier de tous les bonheurs , être aimé ne vient qu' après .
Selon Camille , ce n' est pas aimer que d' aimer pour quelques jours : l' amour qui ne s' accroît pas de jour en jour est une passion misérable ; pour s' accroître , il doit ne pas voir sa fin , et elle apercevait le coucher de notre soleil .
à votre aspect , j' ai compris ces discours que je combattais de toute ma jeunesse , de toute la fougue de mes désirs , avec l' austérité despotique de mes vingt ans .
Cette grande et sublime Camille mêlait alors ses larmes aux miennes . Je puis donc vous aimer sur la terre et dans les cieux , comme on aime Dieu . Si vous m' aimiez , vous n' auriez pas à m' opposer les raisons par lesquelles Camille terrassait mes efforts .
Nous sommes jeunes tous deux , nous pouvons voler des mêmes ailes , sous le même ciel , sans craindre l' orage que redoutait cet aigle .
Mais que vous dis - je là ? Je suis emporté bien loin au - delà de la modestie de mes voeux ! Vous ne croirez plus à la soumission , à la patience , à la muette adoration que je viens vous prier de ne pas blesser inutilement .
Je sais , Béatrix , que vous ne pouvez m' aimer sans perdre de votre propre estime . Aussi ne vous demandé - je aucun retour . Camille disait naguère qu' il y avait une fatalité innée dans les noms , à propos du sien .
Cette fatalité , je l' ai pressentie pour moi dans le vôtre , quand , sur la jetée de Guérande , il a frappé mes yeux au bord de l' Océan . Vous passerez dans ma vie comme Béatrix a passé dans la vie de Dante .
BEATRIX (II, privé)
Page: 782