----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Tous deux interdits , l' une de tant de froideur , lui de sa cruauté , remontèrent le ravin creux qu' on appelle une rue à Saint - Nazaire et suivirent en silence les deux soeurs . En un moment la petite fille de seize ans vit s' écrouler le château en Espagne bâti , meublé par ses romanesques espérances . Elle et Calyste avaient si souvent joué ensemble pendant leur enfance , elle était si liée avec lui qu' elle croyait son avenir inattaquable .
Elle accourait emportée par un bonheur étourdi , comme un oiseau fond sur un champ de blé ; elle fut arrêtée dans son vol sans pouvoir imaginer l' obstacle .
" Qu' as - tu , Calyste , lui demanda - t - elle en lui prenant la main .
Rien " , répondit le jeune homme qui dégagea sa main avec un horrible empressement en pensant aux projets de sa tante et de Mlle de Pen - Hoël .
Des larmes mouillèrent les yeux de Charlotte . Elle regarda sans haine le beau Calyste ; mais elle allait éprouver son premier mouvement de jalousie et sentir les effroyables rages de la rivalité à l' aspect des deux belles Parisiennes et en soupçonnant la cause des froideurs de Calyste .
D' une taille ordinaire , Charlotte de Kergarouët avait une vulgaire fraîcheur , une petite figure ronde éveillée par deux yeux noirs qui jouaient l' esprit , des cheveux bruns abondants , une taille ronde , un dos plat , des bras maigres , le parler bref et décidé des filles de province qui ne veulent pas avoir l' air de petites niaises .
Elle était l' enfant gâté de la famille à cause de la prédilection de sa tante pour elle .
Elle gardait en ce moment sur elle le manteau de mérinos écossais à grands carreaux , doublé de soie verte , qu' elle avait sur le bateau à vapeur . Sa robe de voyage , en stoff assez commun , à corsage fait chastement en guimpe , ornée d' une collerette à mille plis , allait lui paraître horrible à l' aspect des fraîches toilettes de Béatrix et de Camille .
Elle devait souffrir d' avoir des bas blancs salis dans les roches , dans les barques où elle avait sauté , et de méchants souliers en peau , choisis exprès pour ne rien gâter de beau en voyage , selon les us et coutumes des gens de province .
Quant à la vicomtesse de Kergarouët , elle était le type de la provinciale .

BEATRIX (II, privé)
Page: 760