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On lui accordait une grande supériorité dans le monde politique , et il dominait sa réputation . Le bonhomme Blondet ignorait complètement la puissance que le gouvernement constitutionnel avait donnée aux journaux , personne ne s' avisait de l' entretenir d' un fils dont il ne voulait pas entendre parler ; il ne savait donc rien ni de cet enfant maudit ni de son pouvoir .
L' intégrité du juge égalait sa passion pour les fleurs , il ne connaissait que le Droit et la Botanique . Il recevait les plaideurs , les écoutait , causait avec eux et leur montrait ses fleurs ; il acceptait d' eux des graines précieuses , mais sur le siège , il devenait le juge le plus impartial du monde .
Sa manière de procéder était si connue que les plaideurs ne le venaient plus voir que pour lui remettre des pièces qui pouvaient éclairer sa religion ; personne ne cherchait à le tromper .
Son savoir , ses lumières et son insouciance pour ses talents réels le rendaient tellement indispensable à du Ronceret que , sans ses raisons matrimoniales , le président aurait encore secrètement contrarié par tous les moyens possibles la demande du vieux juge en faveur de son fils , car si le savant vieillard quittait le tribunal , le président était hors d' état de formuler un jugement .
Le bonhomme Blondet ne savait pas qu' en quelques heures , son fils Émile pouvait accomplir ses désirs .
Il vivait avec une simplicité digne des héros de Plutarque .
Le soir il examinait les procès , le matin il soignait ses fleurs , et pendant le jour il jugeait . La jolie servante , devenue mûre et ridée comme une pomme à Pâques , avait soin de la maison , tenue selon les us et coutumes d' une avarice rigoureuse .
Mlle Cadot avait toujours sur elle les clefs des armoires et du fruitier ; elle était infatigable : elle allait elle - même au marché , faisait les appartements et la cuisine , et ne manquait jamais d' entendre sa messe le matin .
Pour donner une idée de la vie intérieure de ce ménage , il suffira de dire que le père et le fils ne mangeaient jamais que des fruits gâtés , par suite de l' habitude qu' avait Mlle Cadot de toujours donner au dessert les plus avancés ; que l' on ignorait la jouissance du pain frais et qu' on y observait les jeûnes ordonnés par l' Église .
Le jardinier était rationné comme un soldat , et constamment observé par cette vieille Validé , traitée avec tant de déférence , qu' elle dînait avec ses maîtres .
Aussi trottait - elle continuellement de la salle à la cuisine pendant les repas .

CABINET DES ANTIQUES (IV, provinc)
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