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Son visage , percé par les mille trous de la petite vérole qui lui avait déformé le nez en le lui tournant en vrille , ne manquait pas de physionomie , il était coloré très également d' une teinte rouge , et animé par deux petits yeux vifs , habituellement sardoniques , et par un certain mouvement satirique de ses lèvres violacées . Avocat avant la Révolution , il avait été fait Accusateur public , mais il fut le plus doux de ces terribles fonctionnaires . Le bonhomme Blondet , on l' appelait ainsi , avait amorti l' action révolutionnaire en acquiesçant à tout et n' exécutant rien .
Forcé d' emprisonner quelques nobles , il avait mis tant de lenteur à leur procès , qu' il leur fit atteindre au neuf thermidor avec une adresse qui lui avait concilié l' estime générale .
Certes , le bonhomme Blondet aurait dû être le président du tribunal ; mais , lors de la réorganisation des tribunaux , il fut écarté par Napoléon dont l' éloignement pour les républicains reparaissait dans les moindres détails de son gouvernement .
La qualification d' ancien Accusateur public , inscrite en marge du nom de Blondet , fit demander par l' Empereur à Cambacérès s' il n' y avait pas dans le pays quelque rejeton d' une vieille famille parlementaire à mettre à sa place .
Du Ronceret , dont le père avait été conseiller au Parlement , fut donc nommé .
Malgré la répugnance de l' Empereur , l' archichancelier , dans l' intérêt de la justice , maintint Blondet juge , en disant que le vieil avocat était un des plus forts jurisconsultes de France .
Le talent du juge , ses connaissances dans l' ancien Droit et plus tard dans la nouvelle législation eussent dû le mener fort loin ; mais , semblable en ceci à quelques grands esprits , il méprisait prodigieusement ses connaissances judiciaires et s' occupait presque exclusivement d' une science étrangère à sa profession , et pour laquelle il réservait ses prétentions , son temps et ses capacités .
Le bonhomme aimait passionnément l' horticulture , il était en correspondance avec les plus célèbres amateurs , il avait l' ambition de créer de nouvelles espèces , il s' intéressait aux découvertes de la botanique , il vivait enfin dans le monde des fleurs .
Comme tous les fleuristes , il avait sa prédilection pour une plante choisie entre toutes , et sa favorite était le pelargonium .
Le tribunal et ses procès , sa vie réelle n' étaient donc rien auprès de la vie fantastique et pleine d' émotions que menait le vieillard , de plus en plus épris de ses innocentes sultanes .
Les soins à donner à son jardin , les douces habitudes de l' horticulteur clouèrent le bonhomme Blondet dans sa serre .

CABINET DES ANTIQUES (IV, provinc)
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