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Il était beaucoup plus savant que ne le sont ordinairement les jeunes nobles de province , qui deviennent des chasseurs , des fumeurs et des propriétaires très distingués , mais qui traitent assez cavalièrement les sciences et les lettres , les arts et la poésie , tous les talents dont la supériorité les offusque .
Ces dons de nature et cette éducation devaient suffire à réaliser un jour les ambitions du marquis d' Esgrignon : il voyait son fils maréchal de France si Victurnien voulait être militaire , ambassadeur si la diplomatie le tentait , ministre si l' administration lui souriait ; tout lui appartenait dans l' État .
Enfin , pensée flatteuse pour un père , le comte n' aurait pas été d' Esgrignon , il eût percé par son propre mérite .
Cette heureuse enfance , cette adolescence dorée n' avait jamais rencontré d' opposition à ses désirs . Victurnien était le roi du logis , personne n' y bridait les volontés de ce petit prince , qui naturellement devint égoïste comme un prince , entier comme le plus fougueux cardinal du Moyen Age , impertinent et audacieux , vices que chacun divinisait en y voyant les qualités essentielles au noble .
Le Chevalier était un homme de ce bon temps où les mousquetaires gris désolaient les théâtres de Paris , rossaient le guet et les huissiers , faisaient mille tours de page et trouvaient un sourire sur les lèvres du Roi , pourvu que les choses fussent drôles .
Ce charmant séducteur , ancien héros de ruelles , contribua beaucoup au malheureux dénouement de cette histoire . Cet aimable vieillard , qui ne trouvait personne pour le comprendre , fut très heureux de rencontrer cette adorable figure de Faublas en herbe qui lui rappelait sa jeunesse .
Sans apprécier la différence des temps , il jeta les principes des roués encyclopédistes dans cette jeune âme , en narrant les anecdotes du règne de Louis XV , en glorifiant les moeurs de 1750 , racontant les orgies des petites maisons , et les folies faites pour les courtisanes , et les excellents tours joués aux créanciers , enfin toute la morale qui a défrayé le comique de Dancourt et l' épigramme de Beaumarchais .
Malheureusement cette corruption cachée sous une excessive élégance se parait d' un esprit voltairien .
Si le Chevalier allait trop loin parfois , il mettait comme correctif les lois de la bonne compagnie auxquelles un gentilhomme doit toujours obéir .
Victurnien ne comprenait de tous ces discours que ce qui flattait ses passions .

CABINET DES ANTIQUES (IV, provinc)
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