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Sous ces vieux lambris , oripeaux d' un temps qui n' était plus , s' agitaient en première ligne huit ou dix douairières , les unes au chef branlant , les autres desséchées et noires comme des momies ; celles - ci roides , celles - là inclinées , toutes encaparaçonnées d' habits plus ou moins fantasques en opposition avec la mode ; des têtes poudrées à cheveux bouclés , des bonnets à coques , des dentelles rousses .
Les peintures les plus bouffonnes ou les plus sérieuses n' ont jamais atteint à la poésie divagante de ces femmes , qui reviennent dans mes rêves et grimacent dans mes souvenirs aussitôt que je rencontre une vieille femme dont la figure ou la toilette me rappellent quelques - uns de leurs traits .
Mais , soit que le malheur m' ait initié aux secrets des infortunes , soit que j' aie compris tous les sentiments humains , surtout les regrets et le vieil âge , je n' ai jamais plus retrouvé nulle part , ni chez les mourants , ni chez les vivants , la pâleur de certains yeux gris , l' effrayante vivacité de quelques yeux noirs .
Enfin , ni Maturin ni Hoffmann , les deux plus sinistres imaginations de ce temps , ne m' ont causé l' épouvante que me causèrent les mouvements automatiques de ces corps busqués .
Le rouge des acteurs ne m' a point surpris , j' avais vu là du rouge invétéré , du rouge de naissance , disait un de mes camarades au moins aussi espiègle que je pouvais l' être .
Il s' agitait là des figures aplaties , mais creusées par des rides , qui ressemblaient aux têtes de casse - noisettes sculptées en Allemagne .
Je voyais à travers les carreaux des corps bossués , des membres mal attachés dont je n' ai jamais tenté d' expliquer l' économie ni la contexture ; des mâchoires carrées et très apparentes , des os exorbitants , des hanches luxuriantes .
Quand ces femmes allaient et venaient , elles ne me semblaient pas moins extraordinaires que quand elles gardaient leur immobilité mortuaire , alors qu' elles jouaient aux cartes .
Les hommes de ce salon offraient les couleurs grises et fanées des vieilles tapisseries , leur vie était frappée d' indécision ; mais leur costume se rapprochait beaucoup des costumes alors en usage , seulement leurs cheveux blancs , leurs visages flétris , leur teint de cire , leurs fronts ruinés , la pâleur des yeux leur donnaient à tous une ressemblance avec les femmes qui détruisait la réalité de leur costume .

CABINET DES ANTIQUES (IV, provinc)
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