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Quelque pénible que fût pour elle la présence de son mari pensif durant des heures entières , et qui lui jetait de temps en temps un regard monotone , elle n' oubliait ses douleurs que pendant ces cruels instants . L' indifférence de Balthazar pour cette femme mourante eût semblé criminelle à quelque étranger qui en aurait été le témoin ; mais Mme Claës et ses filles s' y étaient accoutumées , elles connaissaient le coeur de cet homme , et l' absolvaient .
Si , pendant la journée , Mme Claës subissait quelque crise dangereuse , si elle se trouvait plus mal , si elle paraissait près d' expirer , Claës était le seul dans la maison et dans la ville qui l' ignorait ; Lemulquinier , son valet de chambre , le savait ; mais ni ses filles auxquelles leur mère imposait silence , ni sa femme ne lui apprenaient les dangers que courait une créature jadis si ardemment aimée .
Quand son pas retentissait dans la galerie au moment où il venait dîner , Mme Claës était heureuse , elle allait le voir , elle rassemblait ses forces pour goûter cette joie .
A l' instant où il entrait , cette femme pâle et demi - morte se colorait vivement , reprenait un semblant de santé , le savant arrivait auprès du lit , lui prenait la main , et la voyait sous une fausse apparence ; pour lui seul , elle était bien .
Quand il lui demandait : " Ma chère femme , comment vous trouvez - vous aujourd' hui ? " elle lui répondait : " Mieux , mon ami ! " et faisait croire à cet homme distrait que le lendemain elle serait levée , rétablie .
La préoccupation de Balthazar était si grande qu' il acceptait la maladie dont mourait sa femme , comme une simple indisposition .
Moribonde pour tout le monde , elle était vivante pour lui .
Une séparation complète entre ces époux fut le résultat de cette année .
Claës couchait loin de sa femme , se levait dès le matin , et s' enfermait dans son laboratoire ou dans son cabinet ; en ne la voyant plus qu' en présence de ses filles ou des deux ou trois amis qui venaient la visiter , ils se déshabitua d' elle .
Ces deux êtres , jadis accoutumés à penser ensemble , n' eurent plus , que de loin en loin , ces moments de communication , d' abandon , d' épanchement qui constituent la vie du coeur , et il vint un moment où ces rares voluptés cessèrent .
Les souffrances physiques vinrent au secours de cette pauvre femme , et l' aidèrent à supporter un vide , une séparation qui l' eût tuée , si elle avait été vivante .

RECHERCHE ABSOLU (X, philo)
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