----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Il est des passions ardemment conçues qui restent ardentes comme celle de Mme Claës pour son mari ; puis il est des sentiments auxquels tout a souri , qui conservent une allégresse matinale , leurs moissons de joie ne vont jamais sans des rires et des fêtes ; mais il se rencontre aussi des amours fatalement encadrés de mélancolie ou cerclés par le malheur , dont les plaisirs sont pénibles , coûteux , chargés de craintes , empoisonnées par des remords ou pleins de désespérance .
L' amour enseveli dans le coeur d' Emmanuel et de Marguerite sans que ni l' un ni l' autre ne comprissent encore qu' il s' en allait de l' amour , ce sentiment éclos sous la voûte sombre de la galerie Claës , devant un vieil abbé sévère , dans un moment de silence et de calme ; cet amour grave et discret , mais fertile en nuances douces , en voluptés secrètes , savourées comme des grappes volées au coin d' une vigne , subissait la couleur brune , les teintes grises qui le décorèrent à ses premières heures .
En n' osant se livrer à aucune démonstration vive devant ce lit de douleur , ces deux enfants agrandissaient leurs jouissances à leur insu par une concentration qui les imprimait au fond de leur coeur .
C' était des soins donnés à la malade , et auxquels aimait à participer Emmanuel , heureux de pouvoir s' unir à Marguerite en se faisant par avance le fils de cette mère .
Un remerciement mélancolique remplaçait sur les lèvres de la jeune fille le mielleux langage des amants .
Les soupirs de leurs coeurs , remplis de joie par quelque regard échangé , se distinguaient peu des soupirs arrachés par le spectacle de la douleur maternelle .
Leurs bons petits moments d' aveux indirects , de promesses inachevées , d' épanouissements comprimés pouvaient se comparer à ces allégories peintes par Raphaël sur des fonds noirs .
Ils avaient l' un et l' autre une certitude qu' ils ne s' avouaient pas ; ils savaient le soleil au - dessus d' eux , mais ils ignoraient quel vent chasserait les gros nuages noirs amoncelés sur leurs têtes ; ils doutaient de l' avenir , et craignant d' être toujours escortés par les souffrances , ils restaient timidement dans les ombres de ce crépuscule , sans oser se dire : Achèverons - nous ensemble la journée ? Néanmoins la tendresse que Mme Claës témoignait à ses enfants cachait noblement tout ce qu' elle se taisait à elle - même .
Ses enfants ne lui causaient ni tressaillement ni terreur , ils étaient sa consolation , mais ils n' étaient pas sa vie ; elle vivait par eux , elle mourait pour Balthazar .

RECHERCHE ABSOLU (X, philo)
Page: 748