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" Enfin , il y a sept mois , je résolus de me faire un nom au barreau de Paris , en voyant quels vides y laissaient les promotions de tant d' avocats à des places éminentes . Mais en me rappelant les rivalités que j' avais observées au sein de la Presse , et combien il est difficile de parvenir à quoi que ce soit à Paris , cette arène où tant de champions se donnent rendez - vous , je pris une résolution cruelle pour moi , d' un effet certain et peut - être plus rapide que toute autre . Tu m' avais bien expliqué , dans nos causeries , la constitution sociale de Besançon , l' impossibilité pour un étranger d' y parvenir d' y faire la moindre sensation , de s' y marier , de pénétrer dans la société , d' y réussir en quoi que ce soit .
Ce fut là que je voulus aller planter mon drapeau , pensant avec raison y éviter la concurrence , et m' y trouver seul à briguer la députation .
Les Comtois ne veulent pas voir l' étranger , l' étranger ne les verra pas ! ils se refusent à l' admettre dans leurs salons , il n' ira jamais ! il ne se montrera nulle part , pas même dans les rues ! Mais il est une classe qui fait les députés , la classe commerçante .
Je vais spécialement étudier les questions commerciales que je connais déjà , je gagnerai des procès , j' accorderai les différends , je deviendrai le plus fort avocat de Besançon .
Plus tard , j' y fonderai une Revue où je défendrai les intérêts du pays où je les ferai naître , vivre , ou renaître .
Quand j' aurai conquis un à un assez de suffrages , mon nom sortira de l' urne . On dédaignera pendant longtemps l' avocat inconnu , mais il y aura une circonstance qui le mettra en lumière , une plaidoirie gratuite , une affaire de laquelle les autres avocats ne voudront pas se charger .
Si je parle une fois , je suis sûr du succès . Eh bien , mon cher Léopold , j' ai fait emballer ma bibliothèque dans onze caisses , j' ai acheté les livres de droit qui pouvaient m' être utiles , et j' ai mis tout , ainsi que mon mobilier , au roulage pour Besançon .
J' ai pris mes diplômes , j' ai réuni mille écus et suis venu te dire adieu .
La malle - poste m' a jeté dans Besançon , où j' ai , dans trois jours de temps , choisi un petit appartement qui a vue sur des jardins , j' y ai somptueusement arrangé le cabinet mystérieux où je passe mes nuits et mes jours , et où brille le portrait de mon idole , de celle à laquelle ma vie est vouée , qui la remplit , qui est le principe de mes efforts , le secret de mon courage , la cause de mon talent .
Puis , quand les meubles et les livres sont arrivés , j' ai pris un domestique intelligent , et suis resté pendant cinq mois comme une marmotte en hiver .
On m' avait d' ailleurs inscrit au tableau des avocats .

ALBERT SAVARUS (I, privé)
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