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Le dénouement de la première entreprise où j' ai mis toutes mes espérances et qui s' est trouvée sans résultats par la profonde scélératesse de mes deux associés d' accord pour me tromper pour me dépouiller , moi à l' activité de qui tout était dû , m' a fait renoncer à chercher la fortune pécuniaire après avoir ainsi perdu trois ans de ma vie , dont une année à plaider .
Peut - être m' en serais - je plus mal tiré , si je n' avais pas été contraint à vingt ans , d' étudier le droit .
J' ai voulu devenir un homme politique , uniquement pour être un jour compris dans une ordonnance sur la pairie sous le titre de comte Albert Savaron de Savarus , et faire revivre en France un beau nom qui s' éteint en Belgique , encore que je ne sois ni légitime ni légitimé !
Ah ! j' en étais sûre , il est noble ! s' écria Rosalie en laissant tomber la lettre .
" Tu sais quelles études consciencieuses j' ai faites , quel journaliste obscur , mais dévoué , mais utile , et quel admirable secrétaire je fus pour l' homme d' État qui , d' ailleurs , me fut fidèle en 1829 .
Replongé dans le néant par la révolution de Juillet , alors que mon nom commençait à briller , au moment où , maître des requêtes , j' allais enfin entrer , comme un rouage nécessaire , dans la machine politique , j' ai commis la faute de rester fidèle aux vaincus , de lutter pour eux , sans eux .
Ah ! pourquoi n' avais - je que trente - trois ans , et comment ne t' ai - je pas prié de me rendre éligible ? Je t' ai caché tous mes dévouements et mes périls .
Que veux - tu ? j' avais la foi ! nous n' eussions pas été d' accord . Il y a dix mois , pendant que tu me voyais si gai , si content , écrivant mes articles politiques , j' étais au désespoir : je me voyais à trente - sept ans , avec deux mille francs pour toute fortune , sans la moindre célébrité , venant d' échouer dans une noble entreprise , celle d' un journal quotidien qui ne répondait qu' à un besoin de l' avenir , au lieu de s' adresser aux passions du moment .
Je ne savais plus quel parti prendre .
Et je me sentais ! J' allais , sombre et blessé , dans les endroits solitaires de ce Paris qui m' avait échappé , pensant à mes ambitions trompées , mais sans les abandonner .

ALBERT SAVARUS (I, privé)
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