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Enfin , neuf heures sonnèrent , Rodolphe put monter en voiture et dire avec une émotion facile à comprendre : " à la maison Jeanrenaud , chez le prince Gandolphini ! " Enfin , il entra dans le salon plein d' étrangers de la plus haute distinction , et où il resta forcément dans un groupe près de la porte , car en ce moment on chantait un duo de Rossini .
Enfin , il put voir Francesca , mais sans être vu par elle . La princesse était debout à deux pas du piano . Ses admirables cheveux , si abondants et si longs , étaient retenus par un cercle d' or .
Sa figure , illuminée par les bougies , éclatait de la blancheur particulière aux Italiennes et qui n' a tout son effet qu' aux lumières . Elle était en costume de bal , laissant admirer des épaules magnifiques , sa taille de jeune fille , et des bras de statue antique .
Sa beauté sublime était là , sans rivalité possible , quoiqu' il y eût des Anglaises et des Russes charmantes , les plus jolies femmes de Genève et d' autres Italiennes , parmi lesquelles brillait l' illustre princesse de Varèse et la fameuse cantatrice Tinti qui chantait en ce moment .
Rodolphe appuyé contre le chambranle de la porte , regarda la princesse en dardant sur elle ce regard fixe , persistant , attractif et chargé de toute la volonté humaine concentrée dans ce sentiment appelé désir , mais qui prend alors le caractère d' un violent commandement .
La flamme de ce regard atteignit - elle Francesca ? Francesca s' attendait - elle de moment en moment à voir Rodolphe ? Au bout de quelques minutes , elle coula un regard vers la porte comme attirée par ce courant d' amour , et ses veux , sans hésiter , se plongèrent dans les yeux de Rodolphe .
Un léger frémissement agita ce magnifique visage et ce beau corps : la secousse de l' âme réagissait ! Francesca rougit .
Rodolphe eut comme toute une vie dans cet échange , si rapide qu' il n' est comparable qu' à un éclair .
Mais à quoi comparer son bonheur : il était aimé ! La sublime princesse tenait , au milieu du monde , dans la belle maison Jeanrenaud , la parole donnée par la pauvre exilée , par la capricieuse de la maison Bergmann .
L' ivresse d' un pareil moment rend esclave pour toute une vie ! Un fin sourire , élégant et rusé , candide et triomphant agita les lèvres de la princesse Gandolphini qui , dans un moment où elle ne se crut pas observée , regarda Rodolphe en ayant l' air de lui demander pardon de l' avoir trompé sur sa condition .
Le morceau terminé , Rodolphe put arriver jusqu' au prince qui l' amena gracieusement à sa femme .

ALBERT SAVARUS (I, privé)
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