----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Quand Rodolphe assis sur une roche tombée en avant du bord ne vit plus le bateau de Léopold , il examina , mais en - dessous , la maison neuve en espérant apercevoir l' inconnue . Hélas ! il rentra sans que la maison eût donné signe de vie .
Au dîner que lui offrirent M . et Mme Stopfer , anciens tonneliers à Neufchâtel , il les questionna sur les environs et finit par apprendre tout ce qu' il voulait savoir sur l' inconnue , grâce au bavardage de ses hôtes qui vidèrent , sans se faire prier , le sac aux commérages .
L' inconnue s' appelait Fanny Lovelace . Ce nom , qui se prononce Loveless , appartient à de vieilles familles anglaises ; mais Richardson en a fait une création dont la célébrité nuit à toute autre . Miss Lovelace était venue s' établir sur le lac pour la santé de son père , à qui les médecins avaient ordonné l' air du canton de Lucerne .
Ces deux Anglais , arrivés sans autre domestique qu' une petite fille de quatorze ans , très attachée à miss Fanny , une petite muette qui la servait avec intelligence , s' étaient arrangés avant l' hiver dernier , avec M .
et Mme Bergmann , anciens jardiniers en chef de Son Excellence le comte Borroméo à l' isola Bella et à l' isola Madre , sur le lac Majeur .
Ces Suisses , riches d' environ mille écus de rentes , louaient l' étage supérieur de leur maison aux Lovelace à raison de deux cents francs par an pour trois ans .
Le vieux Lovelace , vieillard nonagénaire très cassé , trop pauvre pour se permettre certaines dépenses , sortait rarement sa fille travaillait pour le faire vivre en traduisant , disait - on , des livres anglais et faisant elle - même des livres .
Aussi les Lovelace n' osaient - ils ni louer de bateaux pour se promener sur le lac , ni chevaux , ni guides pour visiter les environs .
Un dénuement qui exige de pareilles privations excite d' autant plus la compassion des Suisses , qu' ils y perdent une occasion de gain . La cuisinière de la maison nourrissait ces trois Anglais à raison de cent francs par mois tout compris .
Mais on croyait dans tout Gersau que les anciens jardiniers , malgré leurs prétentions à la bourgeoisie , se cachaient sous le nom de leur cuisinière pour réaliser les bénéfices de ce marché .
Les Bergmann s' étaient créé d' admirables jardins et une serre magnifique autour de leur habitation . Les fleurs , les fruits , les raretés botaniques de cette habitation avaient déterminé la jeune miss à la choisir à son passage à Gersau .

ALBERT SAVARUS (I, privé)
Page: 942