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Doit - on éclairer les jeunes filles , doit - on comprimer leur esprit ? il va sans dire que le système religieux est compresseur : si vous les éclairez , vous en faites des démons avant l' âge ; si vous les empêchez de penser , vous arrivez à la subite explosion si bien peinte dans le personnage d' Agnès par Molière , et vous mettez cet esprit comprimé , si neuf , si perspicace , rapide et conséquent comme le sauvage , à la merci d' un événement , crise fatale amenée chez Mlle de Watteville par l' imprudente esquisse que se permit à table un des plus prudents abbés du prudent Chapitre de Besançon .
Le lendemain matin , Mlle de Watteville , en s' habillant , regarda nécessairement Albert Savaron se promenant dans le jardin contigu à celui de l' hôtel de Rupt .
" Que serais - je devenue , pensa - t - elle , s' il avait demeuré ailleurs ? Je puis le voir . à quoi pense - t - il ? "
Après avoir vu , mais à distance , cet homme extraordinaire , le seul dont la physionomie tranchait vigoureusement sur la masse des figures bisontines aperçues jusqu' alors , Rosalie sauta rapidement à l' idée de pénétrer dans son intérieur , de savoir les raisons de tant de mystères , d' entendre cette voix éloquente , de recevoir un regard de ces beaux yeux .
Elle voulut tout cela , mais comment l' obtenir ?
Pendant toute la journée , elle tira l' aiguille sur sa broderie avec cette attention obtuse de la jeune fille qui paraît comme Agnès ne penser à rien et qui réfléchit si bien sur toute chose que ses ruses sont infaillibles .
De cette profonde méditation , il résulta chez Rosalie une envie de se confesser . Le lendemain matin , après la messe , elle eut une petite conférence à Saint - Pierre avec l' abbé Giroud , et l' entortilla si bien que la confession fut indiquée pour le dimanche matin , à sept heures et demie , avant la messe de huit heures .
Elle commit une douzaine de mensonges pour pouvoir se trouver dans l' église , une seule fois , à l' heure où l' avocat venait entendre la messe .
Enfin il lui prit un mouvement de tendresse excessif pour son père , elle l' alla voir dans son atelier , et lui demanda mille renseignements sur l' art du tourneur , pour arriver à conseiller à son père de tourner de grandes pièces , des colonnes .
Après avoir lancé son père dans les colonnes torses , une des difficultés de l' art du tourneur , elle lui conseilla de profiter d' un gros tas de pierres qui se trouvait au milieu du jardin pour en faire faire une grotte , sur laquelle il mettrait un petit temple en façon de belvédère , où ses colonnes torses seraient employées et brilleraient aux yeux de toute la société .

ALBERT SAVARUS (I, privé)
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