----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Oui , dit l' abbé , mais une tête superbe : cheveux noirs , mélangés déjà de quelques cheveux blancs , des cheveux comme en ont les saint Pierre et les saint Paul de nos tableaux , à boucles touffues et luisantes , des cheveux durs comme des crins , un cou blanc et rond comme celui d' une femme , un front magnifique séparé par ce sillon puissant que les grands projets , les grandes pensées , les fortes méditations inscrivent au front des grands hommes ; un teint olivâtre marbré de taches rouges , un nez carré , des yeux de feu , puis les joues creusées , marquées de deux rides longues pleines de souffrances , une bouche à sourire sarde et un petit menton mince et trop court ; la patte - d' oie aux tempes , les yeux caves , roulant sous des arcades sourcilières comme deux globes ardents ; mais , malgré tous ces indices de passions violentes , un air calme , profondément résigné , la voix d' une douceur pénétrante , et qui m' a surpris au Palais par sa facilité , la vraie voix de l' orateur , tantôt pure et rusée , tantôt insinuante , et tonnant quand il le faut , puis se pliant au sarcasme et devenant alors incisive . M . Albert Savaron est de moyenne taille , ni gras ni maigre .
Enfin il a des mains de prélat . La seconde fois que je suis allé chez lui , il m' a reçu dans sa chambre qui est contiguë à cette bibliothèque , et a souri de mon étonnement quand j' y ai vu une méchante commode , un mauvais tapis , un lit de collégien et aux fenêtres des rideaux de calicot .
Il sortait de son cabinet où personne ne pénètre , m' a dit Jérôme qui n' y entre pas et qui s' est contenté de frapper à la porte .
M . Savaron a fermé lui - même cette porte à clef devant moi . La troisième fois , il déjeunait dans sa bibliothèque de la manière la plus frugale ; mais cette fois , comme il avait passé la nuit à examiner nos pièces , que j' étais avec notre avoué , que nous devions rester longtemps ensemble et que le cher M .
Girardet est verbeux , j' ai pu me permettre d' étudier cet étranger .
Certes , ce n' est pas un homme ordinaire . Il y a plus d' un secret derrière ce masque à la fois terrible et doux , patient et impatient , plein et creusé . Je l' ai trouvé voûté légèrement , comme tous les hommes qui ont quelque chose de lourd à porter .
Pourquoi cet homme si éloquent a - t - il quitté Paris ? Dans quel dessein est - il venu à Besançon ? On ne lui a donc pas dit combien les étrangers y avaient peu de chances de réussite ? On s' y servira de lui , mais les Bisontins ne l' y laisseront pas se servir d' eux .
Pourquoi , s' il est venu , a - t - il fait si peu de frais qu' il a fallu la fantaisie du premier président pour le mettre en évidence ? dit la belle Mme de Chavoncourt .
Après avoir bien étudié cette belle tête , reprit l' abbé de Grancey qui regarda finement son interruptrice en donnant à penser qu' il taisait quelque chose , et surtout après l' avoir entendu répliquant ce matin à l' un des aigles du barreau de Paris , je pense que cet homme , qui doit avoir trente - cinq ans , produira plus tard une grande sensation ...
Pourquoi nous en occuper ? Votre procès est gagné , vous l' avez payé " , dit Mme de Watteville en observant sa fille qui depuis que le vicaire général parlait était comme suspendue à ses lèvres .
ALBERT SAVARUS (I, privé)
Page: 929