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Depuis cinq ans , le lion avait donc travaillé comme une taupe pour se loger dans le haut bout de l' estime de la sévère baronne , tout en se posant de manière à flatter l' amour - propre de Mlle de Watteville .
La baronne était dans le secret des inventions par lesquelles Amédée parvenait à soutenir son rang dans Besançon , et l' en estimait fort . Soulas s' était mis sous l' aile de la baronne quand elle avait trente ans , il eut alors l' audace de l' admirer et d' en faire une idole ; il en était arrivé à pouvoir lui raconter , lui seul au monde , les gaudrioles que presque toutes les dévotes aiment à entendre dire , autorisées qu' elles sont par leurs grandes vertus à contempler des abîmes sans y choir et les embûches du démon sans s' y prendre .
Comprenez - vous pourquoi ce lion ne se permettait pas la plus légère intrigue ? il clarifiait sa vie , il vivait en quelque sorte dans la rue afin de pouvoir jouer le rôle d' amant sacrifié près de la baronne , et lui régaler l' Esprit des péchés qu' elle interdisait à sa Chair .
Un homme qui possède le privilège de couler des choses lestes dans l' oreille d' une dévote , est à ses yeux un homme charmant .
Si ce lion exemplaire eût mieux connu le coeur humain , il aurait pu sans danger se permettre quelques amourettes parmi les grisettes de Besançon qui le regardaient comme un roi : ses affaires se seraient avancées auprès de la sévère et prude baronne .
Avec Rosalie , ce Caton paraissait dépensier : il professait la vie élégante , il lui montrait en perspective le rôle brillant d' une femme à la mode à Paris , où il irait comme député .
Ces savantes manoeuvres furent couronnées par un plein succès .
En 1834 , les mères des quarante familles nobles qui composent la haute société bisontine citaient le jeune M .
Amédée de Soulas comme le plus charmant jeune homme de Besançon , personne n' osait disputer la place au coq de l' hôtel de Rupt , et tout Besançon le regardait comme le futur époux de Rosalie de Watteville .
Il y avait eu déjà même à ce sujet quelques paroles échangées entre la baronne et Amédée , auxquelles la prétendue nullité du baron donnait une certitude .

ALBERT SAVARUS (I, privé)
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