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Le chef du parti juste - milieu , un homme de l' Hôtel - de - Ville , fit venir le journaliste , et lui dit : " Apprenez , monsieur , que nous sommes graves , plus que graves , ennuyeux , nous ne voulons point qu' on nous amuse , et nous sommes furieux d' avoir ri .
Soyez aussi dur à digérer que les plus épaisses amplifications de la Revue des Deux Mondes , et vous serez à peine au ton des Bisontins . "
Le rédacteur se le tint pour dit , et parla le patois philosophique le plus difficile à comprendre . Il eut un succès complet .
Si le jeune M . de Soulas ne perdit pas dans l' estime des salons de Besançon , ce fut pure vanité de leur part : l' aristocratie était bien aise d' avoir l' air de se moderniser et de pouvoir offrir aux nobles Parisiens en voyage dans la Comté un jeune homme qui leur ressemblait à peu près .
Tout ce travail caché , toute cette poudre jetée aux yeux , cette folie apparente , cette sagesse latente avaient un but , sans quoi le lion bisontin n' eût pas été du pays .
Amédée voulait arriver à un mariage avantageux en prouvant un jour que ses fermes n' étaient pas hypothéquées , et qu' il avait fait des économies .
Il voulait occuper la ville , il voulait en être le plus bel homme , le plus élégant , pour obtenir d' abord l' attention , puis la main de Mlle Rosalie de Watteville : ah !
En 1830 , au moment où le jeune M . de Soulas commença son métier de dandy , Rosalie avait quatorze ans . En 1834 , Mlle de Watteville atteignait donc à cet âge où les jeunes personnes sont facilement frappées par toutes les singularités qui recommandaient Amédée à l' attention de la ville .
Il y a beaucoup de lions qui se font lions par calcul et par spéculation . Les Watteville , riches depuis douze ans de cinquante mille francs de rentes , ne dépensaient pas plus de vingt - quatre mille francs par an , tout en recevant la haute société de Besançon , les lundis et les vendredis .
On y dînait le lundi , l' on y passait la soirée le vendredi .
Ainsi , depuis douze ans , quelle somme ne faisaient pas vingt - six mille francs annuellement économisés et placés avec la discrétion qui distingue ces vieilles familles ? On croyait assez généralement que se trouvant assez riche en terres , Mme de Watteville avait mis dans le trois pour cent ses économies en 1830 .
La dot de Rosalie devait alors se composer d' environ quarante mille francs de rentes .

ALBERT SAVARUS (I, privé)
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