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Pour vous faire comprendre combien cette vie est exorbitante , il est nécessaire d' expliquer Besançon en quelques mots . Nulle ville n' offre une résistance plus sourde et muette au Progrès . à Besançon , les administrateurs , les employés , les militaires , enfin tous ceux que le gouvernement , que Paris y envoie occuper un poste quelconque , sont désignés en bloc sous le nom expressif de la colonie .
La Colonie est le terrain neutre , le seul où , comme à l' église , peuvent se rencontrer la société noble et la société bourgeoise de la ville . Sur ce terrain commencent , à propos d' un mot , d' un regard ou d' un geste , des haines de maison à maison , entre femmes bourgeoises et nobles , qui durent jusqu' à la mort , et agrandissent encore les fossés infranchissables par lesquels les deux sociétés sont séparées .
à l' exception des Clermont - Mont - Saint - Jean , des Beauffremont , des de Scey , des Gramont et de quelques autres qui n' habitent la Comté que dans leurs terres , la noblesse bisontine ne remonte pas à plus de deux siècles , à l' époque de la conquête par Louis XIV .
Ce monde est essentiellement parlementaire et d' un rogue , d' un raide , d' un grave , d' un positif , d' une hauteur qui ne peut pas se comparer à la cour de Vienne car les Bisontins feraient en ceci les salons viennois quinaulds .
De Victor Hugo , de Nodier , de Fourier , les gloires de la ville , il n' en est pas question , on ne s' en occupe pas .
Les mariages entre nobles s' arrangent dès le berceau des enfants , tant les moindres choses comme les plus graves y sont définies .
Jamais un étranger , un intrus ne s' est glissé dans ces maisons , et il a fallu , pour y faire recevoir des colonels ou des officiers titrés appartenant aux meilleures familles de France , quand il s' en trouvait dans la garnison , des efforts de diplomatie que le prince de Talleyrand eût été fort heureux de connaître pour s' en servir dans un congrès .
En 1834 , Amédée était le seul qui portât des sous - pieds à Besançon .
Ceci vous explique déjà la lionnerie du jeune M .
de Soulas . Enfin , une petite anecdote vous fera bien comprendre Besançon .
Quelque temps avant le jour où cette histoire commence , la Préfecture éprouva le besoin de faire venir de Paris un rédacteur pour son journal , afin de se défendre contre la petite Gazette que la grande Gazette avait pondue à Besançon , et contre Le Patriote que la République y faisait frétiller .
Paris envoya un jeune homme ignorant sa Comté , qui débuta par un premier - Besançon de l' école du Charivari .

ALBERT SAVARUS (I, privé)
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