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Il passait pour un voyageur instruit et pouvait dire : En Angleterre , ou je suis allé , etc . Les douairières lui disaient : Vous qui êtes allé en Angleterre , etc . Il avait poussé jusqu' en Lombardie , il avait côtoyé les lacs d' Italie . Il lisait les ouvrages nouveaux . Enfin , pendant qu' il nettoyait ses gants , le tigre Babylas répondait aux visiteurs : " Monsieur travaille . " Aussi avait - on essayé de démonétiser le jeune M .
Amédée de Soulas à l' aide de ce mot : " C' est un homme très avancé " . Amédée possédait le talent de débiter avec la gravité bisontine les lieux communs à la mode , ce qui lui donnait le mérite d' être un des hommes les plus éclairés de la noblesse .
Il portait sur lui la bijouterie à la mode , et dans sa tête les pensées contrôlées par la Presse .
En 1834 , Amédée était un jeune homme de vingt - cinq ans , de taille moyenne , brun , le thorax violemment prononcé , les épaules à l' avenant , les cuisses un peu rondes , le pied déjà gras , la main blanche et potelée , un collier de barbe , des moustaches qui rivalisaient celles de la garnison , une bonne grosse figure rougeaude , le nez écrasé , les yeux bruns et sans expression ; d' ailleurs rien d' espagnol .
Il marchait à grands pas vers une obésité fatale à ses prétentions .
Ses ongles étaient soignés , sa barbe était faite , les moindres détails de son vêtement étaient tenus avec une exactitude anglaise . Aussi regardait - on Amédée de Soulas comme le plus bel homme de Besançon .
Un coiffeur , qui venait le coiffer à heure fixe ( autre luxe de soixante francs par an ! ) , le préconisait comme l' arbitre souverain en fait de modes et d' élégance .
Amédée dormait tard , faisait sa toilette , et sortait à cheval vers midi pour aller dans une de ses métairies tirer le pistolet . Il mettait à cette occupation la même importance qu' y mit lord Byron dans ses derniers jours .
Puis , il revenait à trois heures , admiré sur son cheval par les grisettes et par les personnes qui se trouvaient à leurs croisées . Après de prétendus travaux qui paraissaient l' occuper jusqu' à quatre heures , il s' habillait pour aller dîner en ville , et passait la soirée dans les salons de l' aristocratie bisontine à jouer au whist , et revenait se coucher à onze heures .
Aucune existence ne pouvait être plus à jour , plus sage , ni plus irréprochable , car il allait exactement aux offices le dimanche et les fêtes .

ALBERT SAVARUS (I, privé)
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