----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----
Mais ce qui peint étonnamment les moeurs actuelles de Paris : d' un côté , les hommes disaient que la duchesse fournissait au luxe de Victurnien ; de l' autre , les femmes donnaient à entendre que Victurnien payait , comme disait Rastignac , les ailes de cet ange . En revenant , Victurnien , à qui les dettes de la duchesse pesaient bien plus que les siennes , eut vingt fois sur les lèvres une interrogation pour entamer ce chapitre ; mais vingt fois elle expira devant l' attitude de cette créature divine à la lueur des lanternes de son coupé , séduisante de ces voluptés qui , chez elle , semblaient toujours arrachées violemment à sa pureté de madone .
La duchesse ne commettait pas la faute de parler de sa vertu , ni de son état d' ange , comme les femmes de province qui l' ont imitée ; elle était bien plus habile , elle y faisait penser celui pour qui elle commettait de si grands sacrifices .
Elle donnait , après six mois , l' air d' un péché capital au plus innocent baisement de main , elle pratiquait l' extorquement des bonnes grâces avec un art si consommé qu' il était impossible de ne pas la croire plus ange avant qu' après .
Il n' y a que les Parisiennes assez fortes pour toujours donner un nouvel attrait à la lune et pour romantiser les étoiles , pour toujours rouler dans le même sac à charbon et en sortir toujours plus blanches .
Là est le dernier degré de la civilisation intellectuelle et parisienne .
Les femmes d' au - delà le Rhin ou la Manche croient à ces sornettes quand elles les débitent , tandis que les Parisiennes y font croire leurs amants pour les rendre plus heureux en flattant toutes leurs vanités temporelles et spirituelles .
Quelques personnes ont voulu diminuer le mérite de la duchesse , en prétendant qu' elle était la première dupe de ses sortilèges .
Infâme calomnie ! La duchesse ne croyait à rien qu' à elle - même .
Au commencement de l' hiver , entre les années 1823 et 1824 , Victurnien avait chez les Keller un débet de deux cent mille francs dont ni Chesnel , ni Mlle Armande ne savaient rien . Pour mieux cacher la source où il puisait , il s' était fait envoyer de temps à autre deux mille écus par Chesnel ; il écrivit des lettres mensongères à son pauvre père et à sa tante qui vivaient heureux , abusés comme la plupart des gens heureux .
Une seule personne était dans le secret de l' horrible catastrophe que l' entraînement fascinateur de la vie parisienne avait préparée à cette grande et noble famille .
CABINET DES ANTIQUES (IV, provinc)
Page:1026