REMERCIEMENTS

    Au terme (provisoire) d'une recherche d'une dizaine d'années, nous tenons à exprimer toute notre reconnaissance envers les autorités gabonaises et particulièrement envers Monsieur Auguste Moussirou-Mouyama, directeur de l'Ecole Normale Supérieure de Libreville. Sans sa compréhension et son appui bienveillant, la présente collecte n'aurait pu être menée à bien. Il a facilité la sensibilisation de ses étudiants au projet, autorisé leur collaboration à certaines enquêtes en milieu difficile, permis l'accès à une documentation précieuse : mémoires, travaux, ouvrages scientifiques rares. Qu'il en soit ici chaleureusement remercié !    Toute notre gratitude va également à l'AUPELF (actuelle Agence de la Francophonie) et à la responsable du projet IFA, Danielle Latin pour le soutien qui a permis le démarrage du projet et le financement des premières missions de terrain.    Nous adressons également tous nos remerciements à Madame Sylvie Mellet, directrice de l'UPRESA 6039 à Nice (Institut National de la langue Française, CNRS) et à Monsieur Ambroise Queffelec, professeur à l'Université d'Aix-en-Provence, responsable de la revue Le français en Afrique , qui ont bien voulu accueillir notre travail et en assurer la publication.    Que tous ceux (enseignants, chercheurs, techniciens, religieux, étudiants, qui ont, de près ou de loin, collaboré à notre entreprise par leurs collectes, leurs analyses, leurs informations, leurs critiques ou leurs conseils, trouvent dans ces quelques lignes, l'expression de notre vive gratitude. Leur aide, leur patience devant nos questions fastidieuses, leur intérêt, méritent plus que des remerciements. Nous ne saurions donc oublier de mentionner ici Nelly Lecomte qui a dépouillé deux années de parution du journal L'Union, Claudette Boutin-Dousset, Maria Alves, Caroline Thibaudier, Marie Artigues, Thomas Tchiggfrey, Sandrine Ntsaga-Oyouni, (Paris III), Diane Bagouendi-Bagère, Magali Italia, Jean-Aimé Pambou (Aix-en-Provence) qui par leurs enquêtes et leurs travaux ont grandement alimenté et conforté notre réflexion et dont les observations vigilantes nous ont été, ô combien, précieuses.    Merci également à tous ceux qui nous ont fourni leur aide technique et bénévole sur le terrain : Frère Hubert, Marie-Louise et André, Firmin, Faty, Ghislaine, Mathilde et tous ceux que nous n'oublions pas et qui sont trop nombreux pour être cités ici, ainsi qu'à ceux comme Arnaud et Philippe dont les compétences techniques ont pallié nos manques et corrigé nos erreurs informatiques ou éditoriales.
 
 

INTRODUCTION

1. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DU GABON

1.1. Présentation géographique dans l’Afrique.

Le Gabon est situé au coeur même de l’Afrique, en bordure (sur plus de 800 km) de l’Océan Atlantique, à cheval sur l’Equateur comme son voisin le Congo, et au delà, le Congo Démocratique (ex-Zaïre). Au nord-ouest du pays en bordure de l’Océan, la petite Guinée Equatoriale est enchâssée dans le territoire gabonais. La frontière nord sépare ensuite le Gabon du Cameroun. Tout le reste du pays jouxte le Congo. A l’exception de l’Océan Atlantique à l’ouest, toutes les autres frontières gabonaises sont artificielles et résultent d’accords passés :
    En 1886, par le décret du gouverneur Savorgnan de Brazza fixant les frontières entre le Gabon et le Congo, au sud.    En 1900, entre la France et l’Espagne pour le nord-ouest.
    En 1919, entre la France et l’Allemagne pour le nord .
Le Gabon a une forme ramassée (600 km d’est en ouest) et occupe une superficie de 267 667 km?. C’est le plus petit Etat de l’Afrique centrale après le Rwanda, le Burundi et la Guinée Equatoriale.

1.2. Géographie physique.

Le pays possède une grande unité physique grâce à deux facteurs géographiques : sa végétation et son réseau hydrographique, notamment le bassin de l’Ogooué et de ses affluents. En effet, soumis à un climat pluvieux et humide, le Gabon est par excellence la patrie de la grande forêt équatoriale qui occupe encore presque 85% de la superficie du territoire, soit 225 000 km?. La notion de climat équatorial conditionne l’existence de la grande forêt à peine piquetée de quelques îlots de savanes, ce que les aviateurs locaux désignent plaisamment par le nom de « champ de persil » tant son aspect vu d’avion semble compact et impénétrable. Cette forêt se présente pourtant sous deux formes : la mangrove ou forêt littorale, et la forêt dense. Son exploitation, déjà ancienne, (en particulier celle de l’okoumé) a été longtemps la principale source de richesse du pays. Au contraire, la savane couvre peu d’étendue : sur la côte, le long du cours inférieur de l’Ogooué, dans la région de Ndendé, Mouila, Tchibanga, et à l’est de Franceville. Elle résulte d’ailleurs beaucoup plus de l’action de l’homme que de celle du climat.     Le relief est assez varié avec des plateaux et des collines découpés par de nombreux cours d’eau dont le plus important est l’Ogooué avec 1 200 km de longueur. On trouve également quelques massifs montagneux tels que le Du Chaillu qui culmine à 1 500 m. d’altitude, et des plaines parfois marécageuses.    Le climat, de type équatorial, donc chaud et humide, est caractérisé par des températures constantes et élevées (température moyenne annuelle d’environ 26°), une humidité atmosphérique importante en raison de l’abondance des pluies qui tombent pratiquement tout au long de l’année (hauteur moyenne annuelle : 2 m.). Localement cependant, certaines modifications climatiques peuvent être provoquées par l’influence océanique ou le relief. On distingue, malgré tout, en fonction de la fréquence et de l’abondance des précipitations, deux saisons des pluies (de la mi-février à la mi-mai, et de la mi-septembre à la mi-décembre) et deux saisons sèches (: de la mi-mai à la mi-septembre, et de la mi-décembre à la mi-février).

 

 
 
 

1.3. Découpage administratif.

L’ancienne organisation administrative du Gabon, héritée de l’époque coloniale française, a été modifiée le 17 décembre 1975. Une nouvelle organisation territoriale a été adoptée en 1984. Le Gabon est donc actuellement divisé en neuf provinces, chacune d’elles étant à son tour subdivisée en départements, chaque département en districts, chaque district en cantons, chaque canton regroupant plusieurs villages. Ces diverses circonscriptions sont respectivement administrées par un gouverneur (nommé par le chef de l’Etat), un préfet, un sous-préfet, un chef de canton, un chef de village (nommé par le gouverneur). (Ministère de l’Education Nationale de la République gabonaise, 1983 : 39). 
Carte n°1 : Découpage administratif 


1.4. Economie et politique.    

Le Gabon a connu de 1960 à 1990 une grande stabilité politique s’appuyant sur un développement économique réel et marquée par la présidence de Léon M’Ba jusqu’en 1967, puis par celle de son successeur, l’actuel président Omar Bongo. La richesse du pays en matières premières (pétrole, bois, uranium, manganèse...) a permis de créer des emplois et de disposer de recettes importantes. Avec un peu plus d’un million d’habitants, il peut être considéré comme un des états africains les mieux dotés en ressources et un des mieux à même de satisfaire les besoins du plus grand nombre. Jusqu’en 1986, il a même fait figure de privilégié avec un PIB dépassant 5 000 dollars par an et par tête d’habitant, (Regarder l’Afrique, Septembre 1993 : 19), un niveau de vie comparativement très élevé et une politique très avancée en matière d’éducation, de santé et de services sociaux. La chute des prix du pétrole et du cours du dollar en 1986 ont interrompu de façon brutale ce décollage économique. Par insuffisance de ressources, le montant du budget a été divisé par deux : les services sanitaires et éducatifs ont manqué de moyens, beaucoup d’entreprises étrangères ont fermé, la dette extérieure a gonflé et le revenu par tête n’est plus que de 3 000 dollars (Ibid. : 19). Après l’euphorie des années 1970, l’austérité qui s’est alors installée, a suscité le mécontentement dans les deux villes principales : Libreville, la capitale et Port-Gentil, le cœur économique. L’agitation a culminé au début de l’année 1990 et le président Bongo a lancé alors un mouvement de démocratisation avec l’organisation d’une conférence nationale rassemblant toutes les forces socio-politiques de la nation. Le parti unique, le PDG (Parti Démocratique Gabonais) a été dissous en avril et le multipartisme instauré. Mais, le 12 janvier 1994, le Gabon a fait face à une nouvelle crise : la dévaluation du franc CFA, et donc le budget a été une seconde fois diminué de moitié. De plus, l’économie du pays reste extrêmement dépendante du secteur pétrolier qui, à lui seul, représente 80% des exportations (contre 30% à la fin des années soixante). Ces recettes, liées au cours du pétrole et du dollar, sont fort fluctuantes : ainsi, elles sont passées de 543 milliards de francs CFA en 1990 à 500 milliards en 1992 pour remonter sensiblement en 2000. Les gisements d’uranium et de manganèse apportent certes un complément financier essentiel. Mais la surproduction mondiale a pour conséquence actuelle la baisse des prix et la réduction des exportations. Quant à l’exploitation forestière qui, avant la découverte des gisements pétroliers, occupait une place prépondérante dans l’activité économique, elle ne représente plus que 2% du PIB. Or, l’agriculture, la pêche et l’élevage restent embryonnaires et le pays importe la quasi-totalité de ses produits alimentaires, malgré la création de quelques complexes agro-industriels comme Agrogabon (huile de palme), Hévégab (hévéa) ou la Société sucrière du Haut-Ogooué (canne à sucre), actuellement en cours de privatisation. En effet, la commercialisation de la production se heurte à l’étroitesse du marché local, à l’absence d’un réseau routier étendu et de bonne qualité ainsi qu’aux prix souvent avantageux des produits importés. La situation économique demeure donc fragile malgré l’importante remontée des recettes pétrolières et la stabilité sociopolitique s’en ressent alors que le Gabon approche d’échéances électorales importantes.

 

 

2. PRÉSENTATION HISTORIQUE ET DÉMOGRAPHIQUE.

2.1. Histoire du peuplement du Gabon.    

Bien que l’homme semble avoir été présent dans la région dès l’époque préhistorique, l’installation des Pygmées est considérée comme la transition entre préhistoire et histoire locale proprement dite, marquée par d’importants mouvements migratoires. Le Gabon compte actuellement une cinquantaine d’ethnies, de culture bantoue pour la plupart et n’ayant atteint leurs emplacements actuels qu’à la suite de migrations plus ou moins récentes.    Il convient cependant de préciser, avant d’aborder cette partie, qu’il existe un certain nombre de variantes graphiques des ethnonymes selon les livres et les auteurs. Pour ne pas désorienter un lecteur francophone non gabonais, nous adopterons ici une transcription conforme à l’orthographe usuelle du français, permettant plus facilement d’induire une prononciation acceptable par les nationaux.    + migrations en provenance du nord Certains groupes, les plus nombreux et les premiers à s’établir, les peuples de langue miéné, sont venus des savanes du nord-est de l’arrière-pays. Leur présence dès le XIVe siècle dans la région de l’Estuaire a été établie ainsi que leur installation dans l’Ouest et le Centre du XVIIe au XIXe siècle.Les groupes Benga et Séké ont atteint la côte au XVIe siècle.Le groupe Kota a représenté un puissant courant migratoire de direction générale nord-sud du XVIIIe au XIXe siècle.

Le groupe Fang a fourni l’une des dernières migrations intéressant le Gabon mais aussi la plus importante. Ses membres ont pénétré au Gabon vers la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle en provenance du Cameroun et du nord du Congo.
    + migrations en provenance du sud : 
L’ensemble de ces groupes est beaucoup moins important à la fois en nombre et en expansion :
Les Téké, les Nzébi sont venus du Congo. 
Les Vili viendraient des environs de Pointe Noire, au Congo et constitueraient un courant migratoire assez ancien : XVIIe et XVIIIe.
Les Loumbou, de provenance plus récente, seraient originaires également de la région de Pointe Noire.
Les Pounou, enfin, seraient venus du Sud à une époque relativement proche.
    On attribue généralement ces déplacements de populations à la décadence des royaumes congolais, due à des guerres de succession, aux contacts avec les Européens, à l’introduction du christianisme au XVIe siècle ainsi qu’aux ravages de la traite du XVIIe au XIXe siècle. Mais il faut aussi songer à la poussée islamique du Nord qui a refoulé un certain nombre de peuples vers le sud, à l’intervention européenne, à l’époque de l’esclavage, qui a multiplé les heurts entre groupes et en a forcé certains à fuir, puis en dernier lieu, à l’installation du pouvoir colonial (fin du XIXe, début du XXe siècle ) qui a provoqué résistances et refoulements avant de contribuer à une certaine stabilisation des peuples, notamment par la création des frontières du pays.
 

2.2. Les Européens et le Gabon.    

Les premiers voyageurs à aborder au Gabon ont été, en 1473, les navigateurs portugais qui ont tenté, sans grand succès, d’installer des missions afin d’évangéliser les populations et de fonder des comptoirs commerciaux. A partir du milieu du XVIe siècle, avec l’arrivée d’autres Européens (Espagnols, Hollandais, Anglais et Français), la pénétration se stabilise. C’est alors que s’instaure la traite des esclaves. Pendant trois siècles, le pays sera touché par ce fléau, même s’il paraît avoir été moins durement frappé que d’autres contrées, en raison de sa forêt quasi-infranchissable.

    Le Gabon moderne prend naissance en fait à l’abolition de la traite en 1839, à la suite d’un accord passé entre un chef côtier, le roi Denis et un officier de marine français, Bouët-Villaumez, le 18 mars 1839. Ce traité d’alliance place le roi sous la protection de la France et cède à celle-ci une partie de la Pointe Denis. Le 18 mars 1842, la signature d’un autre traité entre le roi Louis et Bouët-Willaumez permet à la France de prendre pied sur l’emplacement de ce qui deviendra l’embryon de Libreville. Puis, par de nouveaux traités en 1843 et 1846, les Français étendent leurs possessions. C’est à partir de la côte que missionnaires catholiques ou protestants ainsi qu’explorateurs français (en particulier Savorgnan de Brazza, dès 1879) sillonneront le pays qui, de proche en proche, passera sous contrôle français puis sera déclaré en 1886 colonie française.    Après une brève fusion avec la colonie du Congo (1888-1904), le Gabon reconquiert son autonomie administrative mais se trouve placé dans le cadre de l’A.E.F (Afrique Equatoriale Française), fondée en 1911 et administrée par un Gouverneur Général installé à Brazzaville au Congo.
     L’implantation du français au Gabon présente deux caractéristiques principales: elle est de date récente et résulte d’une action délibérée du colonisateur. Le premier véhicule de la langue française est d’abord l’armée de conquête et les religieux, puis l’administration locale du territoire et les colons eux-mêmes.
    Les premières structures éducatives sont d’abord religieuses (souvent en langues locales) mais bientôt la création d’écoles publiques répond à une nécessité née de l’administration elle-même : former sur place des agents subalternes qu’il serait trop coûteux de faire venir de métropole. Les déclarations officielles de cette période sont d’ailleurs très claires : Le but de l’enseignement en A.E.F. [.] est de former des collaborateurs indigènes dont nous avons besoin dans l’œuvre administrative et dans l’œuvre de colonisation, dont la direction seule incombe aux Européens (Antonetti, 1928 : 96-105). Les instituteurs, venus de France, n’exerçent leurs fonctions que dans les écoles urbaines et régionales, assistés d’instituteurs indigènes issus de l’Ecole Normale. Les structures de l’école publique sont mises en place en 1883, conformément à l’arrêté du 24 novembre repris par la circulaire du 8 mai 1925 réorganisant l’enseignement en A.E.F. La Conférence de Brazzaville, en février 1944, stipule : tout enfant entrant dans une école d’A.O.F., d’A.E.F., du Togo ou du Cameroun, en quelque lieu et à quelque niveau que ce fût, [est] censé n’y entendre et n’y employer aucune autre langue que celle de la métropole . (citée in Manessy, 1994 : 24). 
    Comme toute l’A.E.F, en 1940, le Gabon embrasse la cause de la France Libre. En 1949, l’enseignement primaire en français y devient obligatoire conformément au principe établi à la Conférence de Brazzaville de 1944. Cependant, cet enseignement se fait généralement par le canal de moniteurs médiocrement formés et les quelques connaissances acquises par les enfants sont souvent perdues dès l’arrêt de la scolarisation. 
    La loi-cadre du 23 juin 1956 voit aboutir les aspirations du pays à l’autonomie. La République Gabonaise est proclamée le 28 novembre 1958 et le Gabon, dans ses frontières actuelles, devient indépendant le 17 août 1960.
    Après l'Indépendance, la suppression du français ou l’introduction dans l’enseignement d’une ou de plusieurs langues locales ne paraît nullement envisageable, car le gouvernement (comme c’est le cas dans la plupart des anciennes colonies d’Afrique) voit dans le maintien de la langue française un facteur d’unité et de centralisation politique face aux conflits potentiels que pourrait faire naître une rivalité entre les nombreuses langues du pays.
 

2.3. Situation démographique 

    2.3.1. Un espace globalement sous-peuplé.

Le quatrième Recensement Général de la Population et de l’Habitat (= R.G.P.H) de 1993, (le dernier en date effectué), fait état, au 1/06/1993, d’une population de 1.014.976 habitants. La densité est de 3,8 hab./km2 (R.G.P.H, 1993 : 2).

Les caractéristiques essentielles du peuplement sont les suivantes :
    a- un dynamisme démographique relativement faible. Le taux de natalité est bas (pour un pays africain) : 35 pour mille pendant la période 1960-1990, alors que la moyenne de l’Afrique Centrale était, pour la même période, de 44 pour mille. L’hypofécondité est certes relative (période 1985-90 : 4,48 enfants par femme en âge de procréer contre 6 pour l’Afrique Centrale) car l’infécondité a beaucoup baissé en l’espace d’une génération (RGPH, 1993 : 55). De plus, le taux de mortalité a diminué de moitié durant ces mêmes années 1985-1990. Le taux d’accroissement naturel est cependant modeste quoiqu’en augmentation : 2,5% (contre 2% en 1985-90). Quoi qu’il en soit, la population a plus que doublé en 33 ans (RGPH, 1993 : 3).
    b- une population jeune : 41% des effectifs ont moins de 15 ans.
    c- un peuplement très inégalement réparti. Les campagnes (1 habitant/km2) semblent progressivement se vider au profit des centres urbains qui englobent 73% de la population totale. (RGPH, 1993 : 3). Cette caractéristique paraît devoir s’accentuer. Les villes, cependant, restent encore de dimensions réduites. Ainsi Libreville ne compte que 419.596 habitants et Port-Gentil : 79.225, pour ne citer que les principales métropoles. (Ibid. : 3).
    d- ce relatif sous-peuplement a des causes multiples. Historiques : la traite des Noirs qui a saigné le pays, les hostilités entre tribus, les famines des années 1917-1920, les deux guerres mondiales. Il a aussi des causes géographiques : la grande forêt équatoriale et son climat peu favorable à l’homme. Certaines causes sont en outre médicales, malgré les progrès de la médecine et les différents traitements existants : paludisme, fièvre jaune, maladie du sommeil, alcoolisme, sida, ...     2.3.2. la population
La description de la situation démographique est cependant relativement complexe. On doit d’abord distinguer entre autochtones et étrangers.
2.3.2.1.- La population autochtone. 
Très schématiquement, on peut classer la population autochtone dans deux grands groupes : les Pygmées et les Bantous.
Les Pygmées.
    Ce sont les occupants les plus anciens du territoire et ils sont éparpillés sur l’ensemble du pays. Au nombre de 3.320 environ, ils représentent moins de 1% de la population. Selon l’ethnie qui est dans leur voisinage, ils reçoivent une dénomination différente : ainsi au nord, les Fang les appellent Baka/Bekwig/Bibaya, dans l’Ivindo, les Bakota les nomment Bakola, dans le centre et l’est, les Okandé et les Téké, Akowa ou Babougou. Leur langue, le Baka est le seul parler non-bantou usité au Gabon. (Moussirou-Mouyama/de Samie, 1996 : 604).
Les Bantous. 
    Les filiations sont parfois difficiles à appréhender car les groupes ethniques sont classés soit selon des appartenances linguistiques, soit selon leurs apparentements, soit encore selon leurs provenances géographiques. Les avis des exégètes divergent souvent et les noms des ethnies varient suivant qu’un groupe parle de lui-même ou que ce sont les autres qui le désignent, chacun dans sa langue. Le bilan gabonais le plus complet en notre possession est d’ordre linguistique. Il recense une cinquantaine de langues, toutes d’origine Niger-Congo, réparties dans une dizaine de sous-groupes linguistiques en raison de leur parentés structurelles. (Jacquot, 1978, Kwenzi Mikala, 1987). En effet, il faut préciser que plusieurs groupes ethniques emploient souvent la même langue ou des dialectes de la même langue ou des langues très étroitement apparentées. Pour illustrer cette situation, on citera le cas des Miéné de la côte, regroupement linguistique assez récent qui comprend les Mpongwé de Libreville, les Oroungou de Port-Gentil, les Galoa de Lambaréné, les Nkomi de la lagune Fernan-Vaz et deux petites ethnies du Bas et du Moyen-Ogooué, les Adjoumba et les Enenga. Dans cet exemple, il y a intercompréhension entre les locuteurs de ces groupes. Mais cela peut ne pas être le cas : ainsi le groupe Fang compte 6 composantes dialectales très différenciées et sans intercompréhension générale : fang, nzamane, meke, mvai, ntoumou, et okak .

    La carte ci-contre (carte n°2 : ethnies) ne rend pas compte de l’importance démographique constrastive réelle des diverses ethnies, c’est pourquoi le tableau ci-dessous donne quelques informations sur la représentativité de chaque grand groupe ethnolinguistique (ce qui permet de mieux appréhender la situation linguistique générale du Gabon).

Carte n°2 : Ethnies
 
 



GROUPES ETHNIQUES 
DÉMOGRAPHIE
Fang 
258 601
Shira-Pounou 
241 954
Nzabi-Douma 
113 656
Mbédé-Téké 
82 890
Kota-Kélé 
71 351
Miéné 
48 767
Okandé-Tsogho 
32 793
Pygmées 
3 534
Naturalisés 
3 239
Total des Gabonais 
856 785
Etrangers 
153 490
TOTAL 
1 010 275
Sources : RGPH, 1993 : 19

     On voit donc ainsi la différence d’importance entre les langues quant au nombre des sujets parlants qui va de plusieurs dizaines de milliers à quelques dizaines sans qu’aucune soit parlée par la majorité de la population. (Jacquot, 1978 : 493-503). 
    Enfin, pour compléter l’approche de la situation ethno-linguistique, il faut préciser que le Woleu-Ntem est la seule province du pays quasiment mono-ethnique, tandis que, dans toutes les autres provinces (à l’exception de l’Estuaire plus urbanisé et donc plus composite), la presque totalité de la population se regroupe en seulement deux grands groupes ethniques dont le parler peut avoir de ce fait une certaine fonction véhiculaire provinciale.
2.3.2.2. Les étrangers sont relativement nombreux : 

Ils constituent 15,2% de la population (RGPH, 1993 : 2), même si leur nombre a sensiblement diminué ces dernières années. En effet, la richesse des années 1970 avait attiré en grand nombre des travailleurs (surtout des hommes) des pays voisins : Guinée Equatoriale, Congo, Nigeria, Cameroun, Mali, Bénin, Niger, entre autres. Ces migrants ont investi les petits métiers (artisanat, commerce de détail, taxi, personnel de maison...). Ils sont particulièrement présents dans les deux villes les plus importantes mais on les rencontre également dans les mines du Haut Ogooué et les exploitations agricoles du Woleu Ntem. Ce sont surtout, actuellement et par ordre d’importance dégressive, des Equato-Guinéens, des Maliens, des Béninois et des Camerounais. Depuis la crise, cependant, la présence de cette population n’a pas manqué de susciter des réactions de rejet de la part de certains Gabonais confrontés au chômage. C’est ainsi qu’en 1992, selon les services du Ministère de la Défense nationale, ce sont plus de 10 000 Nigérians, sans-papiers et volontaires, qui ont dû quitter le pays. La réduction amorcée semble s’être porusuivie du fait de la dévaluation du franc CFA et des problèmes socio-économiques qu’a vécu le pays. L’amélioration actuelle est trop récente pour qu’on en saisisse l’impact sur l’immigration.    Quant aux étrangers non-Africains, ils n’ont jamais été fort nombreux, à l’exception des Français, les anciens colonisateurs. Or, si l’on en croit le RGPH de 1993, ces derniers sont en constante diminution : 5 945 personnes (RGPH, 1993 : 19). Les autres étrangers non-Africains ne sont, selon ces mêmes estimations, que 1.648. Enfin, les Libanais, immigrés de fraîche date et occupant le secteur commercial comme presque partout en Afrique Centrale, sont au nombre de 953 en 1993, contre 20 une trentaine d’années auparavant.

 

 

2.4. Situation sociolinguistique.

2.4.1. Les langues ethniques gabonaises : des langues sans statut officiel.    

Aucune des langues africaines locales n’a reçu à ce jour de statut officiel bien qu’elles soient utilisées dans certains secteurs de la vie publique (radio, cultes africains, rites populaires, certaines manifestations de la culture autochtone par exemple). C’est parce que l’existence et la liberté d’emploi des langues vernaculaires sont reconnues, mais [qu’] aucune d’entre elles ne reçoit officiellement de fonction autre que celle que lui donne la tradition. ( Jacquot, 1978, cité par Moussirou-Mouyama et de Samie, 1996 : 610). En fait, celles-ci sont cantonnées à la périphérie de l’activité nationale et n’interviennent pas comme langues de communication institutionnalisée. Elles ne présentent aucun intérêt pour le citoyen dans l’activité nationale. (Mba-Nkoghe cité par Moussirou-Mouyama et De Samie, 1996 : 609). Une langue locale n’est donc que le véhicule d’un certain patrimoine culturel, celui de l’identité du groupe ethnique. Certes, au niveau provincial, on l’a vu supra, quelques langues locales semblent posséder un rôle véhiculaire partiel, mais il convient de rester prudent pour les évaluations dans la mesure où aucune étude précise n’a été réalisée sur l’utilisation réelle des langues gabonaises et où les seuls chiffres connus sont ceux de l’appartenance ethnique déclarée par les enquêtés lors du RGPH de juillet 1993.    Un organisme, le Ciciba (Centre International de Civilisation Bantu), participe à des études sur les langues bantoues. Mais, le soutien institutionnel aux langues locales notamment par le développement des études linguistiques et la reconnaissance officielle des langues du Gabon , jugé nécessaire par Moussirou-Mouyama (1990 : 435), ne paraît pas faire partie des priorités gouvernementales immédiates. Au contraire, il semble que les autorités gabonaises aient, selon la typologie de Houis, une attitude techniciste renforçant le français comme instrument linguistique déjà connu localement et véhicule d’une sémantique visant une civilisation universelle. (Houis/ Bole-Richard, 1977 : 36).    La Fondation Raponda-Walker, née le 30 juillet 1993, œuvre pour l’introduction des langues locales, véritable question de survie selon Guérineau, ( Rapidolangue, 1995 : 3). Ce dernier, Vice-Président de la Fondation, tient à préciser : Le travail que nous fournissons aujourd’hui fait appel aux connaissances linguistiques connues, mais compte-tenu des personnes ciblées - les élèves du secondaire - il n’était pas possible de leur mettre entre les mains un manuel qui aurait pour base l’alphabet scientifique tel qu’il a été défini par M. Guthrie in « The Bantu Languages of Western Equatorial Africa » [.] repris par A. Jacquot in « Inventaire des études linguistiques sur les pays d’Afrique Noire d’expression française et sur Madagascar »[.] et adopté par l’UNESCO. Par ailleurs, avec la collaboration des experts de Lyon 2 et de l’Université libre de Bruxelles (U.L.B.), les chercheurs du Laboratoire Universitaire de la Tradition Orale (LUTO) de l’Université Omar Bongo de Libreville ont établi, en 1989, l’Alphabet Scientifique des Langues du Gabon (ASLG). Nous l’estimons, lui aussi, trop scientifique pour être proposé avec profit, à de jeunes élèves. On voudra donc bien nous pardonner la simplification de l’écriture de ces langues orales afin de les rendre abordables à de jeunes locuteurs car le but visé est qu’elles redeviennent des langues orales que l’on ait plaisir à parler autour de soi. [.]. Nous pensons ainsi pouvoir participer à l’effort d’unité nationale dans la richesse et la variété de toutes nos cultures . [.] (souligné par nous, Ibid. : 3-4). 

 

 

2.4.2. Le français : « status » et « corpus »
    Face donc à des langues gabonaises sans statut, le français jouit d’une position privilégiée puisqu’il est de jure la langue officielle.
    A - bilan global. En 1991, Queffelec (in Chaudenson, 1991 : 87-110) traçant un bilan de la situation contrastive du français dans plusieurs états d’Afrique centrale (Cameroun, RCA, Congo, Gabon, Rwanda et Tchad) afin de décrire les spécificités congolaises, s’appuie sur la grille d’analyse des situations linguistiques, élaborée puis remaniée par Chaudenson (1988-1989). Il établit ainsi, en ce qui concerne la situation gabonaise, le « status » (statut et fonction) du français ainsi que le « corpus » (mode, condition d’appropriation et d’usage de la compétence linguistique). Une représentation graphique globale fait apparaître que le français possède au Gabon une place institutionnelle plus grande que ne l’est son usage effectif, même si l’écart observé est le plus réduit de tous les états considérés.

Représentation graphique contrastive

    B - « Status » . Le tableau ci-dessous (Ibid.) détaille clairement les données quantitatives concernant le « status » qui montre pour le Gabon les résultats les plus élevés de la zone concernée.(Queffelec, in Chaudenson, 1991 : 87-110).
 

STATUS
CAM.
CENTR.
CONGO
GABON 
 TCHAD 
ZAÏRE
Total 
possible
Officialité
6
8
8
12
6
8
12
Usages institutionnalisés
Textes officiels :
Textes administr.
nationaux :
Justice 
Admin. locale
Religion
2
2
2
2
1
4
4
3
2
1
4
4
4
3
2
4
4
4
3
1
3
3
2
1
0
4
3
2
2
0
4
4
4
4
4
Education
Primaire
Secondaire
Supérieur
7
7
7
8
10
10
10
10
10
10
10
10
5
7
8
6
8
10
10
10
10
Moyens de comm. de masse
Presse écrite
Radio
Télévision
Cinéma
Edition
4
3
0
4
4
4
3
4
4
2
5
3
4
4
3
5
4
5
4
3
3
3
0
2
1
5
3
4
4
4
5
5
5
5
5
Secteurs secondaires et tertiaires
15
20
20
20
14
12
20
Total
66
87
93
99
58
75
107
     
Pour résumer la situation, Moussirou-Mouyama/ De Samie (1996 : 608-609) précisent : Il apparaît que le français est employé comme langue exclusive :

- du pouvoir politique,
- du pouvoir financier et économique, dans les structures de grande dimension,
- du pouvoir par l’écrit : système scolaire, presse écrite, correspondance, relations dans l’entreprise ou entre administrations, maîtrise de la technologie moderne.
[.] Quant aux langues locales, elles sont employées comme langues exclusives de la tradition : cultes, rituels, culture populaire, etc.
    Dans tous les usages institutionnalisés, les textes officiels et administratifs nationaux, la justice (où un prévenu non francophone doit être assisté par un interprète), le français a une importance plus ou moins similaire à celle qu’il a dans un pays où il est langue maternelle de la population. Seules, l’administration et la politique locales laissent un petit rôle aux parlers gabonais. 
    Le domaine religieux, cependant, réserve toujours une grande place aux langues du pays et cela depuis le début même de la colonisation - cette position des missionnaires a été dans le passé, source d’un certain nombre d’incompréhensions et de critiques de la part des autorités coloniales - qu’il s’agisse de l’enseignement de la religion ou de l’exercice du culte. Cependant, si dans les établissements secondaires, le catéchisme est dispensé en français, l’islam, lui, maintient l’enseignement du Coran en arabe. Quant aux religions traditionnelles africaines, très vivantes ici, elles sont évidemment liées à la tradition de la langue ethnique.    La politique éducative menée au Gabon depuis l’indépendance a permis un développement de ce secteur dont peu de pays africains peuvent se prévaloir. L’enseignement se fait en langue française de l’école primaire à l’enseignement supérieur et la démocratisation de cet enseignement est très avancée et remarquable. En effet le RGPH de 1993 (p. 30) constate : Alors qu’en 1960, seulement 48% des résidents âgés de 15-19 ans étaient d’un niveau scolaire égal ou supérieur au primaire, en 1993, 95% de ceux-ci sont dans ce cas, dont 50% d’un niveau égal ou supérieur au secondaire 1er cycle. La différence entre sexes s’estompe avec 7% de sans instruction pour les femmes contre 4 % pour les hommes au lieu des 48% et 19% en 1960. [.] Près des trois-quarts des Gabonais ont reçu une instruction, le reste est surtout constitué de personnes âgées de 50 ans et plus.
    Le système éducatif gabonais est largement inspiré du système français : enseignement préscolaire (en milieu urbain exclusivement), école primaire qui, en principe, dure six ans, enseignement secondaire général, divisé en 2 cycles, enseignement technique court ou long, enseignement supérieur (dispensé dans deux universités regroupant six facultés : droit, sciences économiques, lettres/sciences humaines, médecine, sciences et cinq grandes écoles), enfin enseignement normal chargé de la formation des enseignants. Il s’effectue exclusivement en français. L’accès à l’enseignement de base est, dans les faits, pratiquement généralisé. La décentralisation de l’enseignement secondaire, avec l’implantation d’un lycée au moins par province, facilite encore ce développement.    Les moyens de communication de masse demeurent largement dominés par le français, notamment la presse écrite et la télévision. Seules certaines radios locales réservent quelques plages horaires à l’information dans quelques-unes des langues locales mais la station la plus connue, Africa n°1, a une visée internationale. L’introduction d’une chaîne de télévision par satellite (TV Sat) ne peut que renforcer cet impact du français dans les média, accru par l’intérêt que présente l’accès aux différents réseaux d’internet.
    L’édition, comme nous l’avons vu, avec le CICIBA et la Fondation Raponda-Walker, propose certaines publications dans des langues du pays mais : La littérature écrite gabonaise est de langue française [.]. La vitalité de la littérature gabonaise, observable avec les dernières publications et l’engouement récent pour le théâtre (en français également) viennent ? à titre d’hypothèse - d’une certaine appropriation de la langue française qui dit la difficulté d’écrire et la nécessité de dire sans se trahir . (Moussirou-Mouyama/de Samie, 1996 : 612).
    Quant aux secteurs secondaires et tertiaires, liés au commerce, à l’industrie, en particulier au domaine du pétrole, de l’extraction minière, à l’exploitation du bois, mais aussi au tourisme, ils sont surtout ouverts vers l’extérieur et offrent des débouchés aux nationaux francophones les mieux scolarisés et les plus diplômés.
    En résumé, par son statut de langue de communication institutionnalisée et par son caractère de langue de communication individualisée, le français apparaît comme la langue « gagne-pain » qui assure la survie de l’individu, langue d’accès au bien-être social (réel ou supposé), langue d’ouverture culturelle (accès à la lecture étrangère, notamment française). (Mba-Nkoghe in Message n°5 : 20)    C - le « corpus » (Queffelec, in Chaudenson, 1991: 87-110).
 
CORPUS 
CAM.
CENTR.
CONGO 
GABON
TCHAD
 ZAÏRE 
 Total possible
Appropriation linguistique
12
13
14
14
11
13
20
Véhicularisation
8
6
10
12
2
6
20
Types de compétences
5
3
12
10
3
5
20
Production et
Exposition  langagières
4
5
3
4
4
6
4
6
2
1
3
4
10
10
Total
34
28
46
46
19
31
80

Compte-tenu des raisons primordiales déjà avancées : 
- scolarisation totale en français, pour la quasi-totalité des jeunes générations,- urbanisation intense qui impose pour l’intercommunication l’usage d’un véhiculaire adapté à la modernité,- absence de langue gabonaise à rôle véhiculaire national,
- présence d’un certain nombre d’étrangers, certes moins nombreux mais souvent plus scolarisés qu’autrefois et plus ouverts à l’utilisation d’une langue de grande communication comme le français qu’à l’apprentissage d’une langue locale à diffusion restreinte,
- culte de la modernité et désir d’ouverture vers les technologies les plus avancées, pour l’instant surtout accessibles en français, 
l’appropriation de la langue française par les Gabonais ne peut qu’être très importante. Le français s’impose donc en tant que langue véhiculaire au point que, comme le reconnaît Mba-Nkoghe (le Message n°5 : 20) : Très souvent le français est la langue de première acquisition pour certains enfants gabonais. C’est d’ailleurs ce que soulignent de récentes enquêtes (Boucher, 1998, 1999, Boucher/ Lafage, 2000).     Mais quel français ? En effet, il ne peut que se produire une certaine disparité dans l’appropriation et la pratique de la langue française, tant entre milieu urbain et milieu rural (pratique usuelle/usage occasionnel), qu’entre différentes classes sociales (en fonction de facteurs comme la durée et la qualité de la scolarisation, le niveau culturel atteint, la durée d’urbanisation, l’emploi occupé, etc.). Or, l’école, lieu principal de l’imprégnation normative, reçoit un certain nombre de critiques. Les pouvoirs publics constatent des carences, comme le montre cette remarque des autorités gabonaises lors du Sommet francophone de Paris en 1986. Si le français, langue officielle, langue de culture et langue véhiculaire permet l’intercompréhension entre toutes les femmes et tous les hommes du Gabon qui comporte 48 idiomes heureusement regroupés en sept groupes linguistiques, son usage, son enseignement, selon des méthodes surannées et surtout sa perception à travers les critères par trop littéraires et non langagiers, posent des problèmes à notre système éducatif . Les principaux problèmes relevés sont la surcharge des effectifs, le manque de qualification des enseignants, l’inadaptation des manuels et des techniques pédagogiques... Car le rendement de cet enseignement si largement ouvert à tous reste faible. En effet, bien que la scolarisation touche, à peu de chose près, l’ensemble d’une classe d’âge, le pourcentage d’enfants qui n’achèvent pas l’école primaire est trop élevé (56%.). Au secondaire, la déperdition se poursuit. En juin 1992, par exemple, 3 510 candidats ont passé l’épreuve du baccalauréat, et 4 à 5% d’entre eux seulement ont eu accès à l’université. (Richard/ Léonard, 1993 : 114). C’est pourquoi, dès 1991, les autorités gabonaises ont-elles mis sur pied une réforme de l’éducation donnant la priorité à l’enseignement du premier degré et l’année scolaire 1997-1998 devait voir le nombre des enseignants du primaire s’accroître avec l’arrivée de 1200 instituteurs. (Cf. Regarder l’Afrique , juin 1997, n°16).    Grâce à un certain nombre de travaux (Couvert, 1984, Moussirou-Mouyama, 1984, 1990, Desbois/ Rapegno, 1994, Boucher, 1998, 1999, à paraître, Italia, 2000, etc), il est en effet possible de distinguer une certaine variation dans le continuum que constitue localement la possession du français. Car c’est en fonction de leur localisation à l’intérieur de ce continuum [.] et de l’ampleur de leur répertoire (Manessy/ Wald, 1984 : 16) que la compétence des divers groupes sociaux doit être envisagée. Cependant, aucune enquête portant sur un échantillon témoin statistiquement représentatif de l’ensemble de la population n’a encore été tentée afin de permettre de rendre compte de la réalité langagière. C’est pourquoi, quelles que soient les critiques qui lui ont été adressées par ailleurs (Chaudenson, 1989 : 11-12), l’enquête de l’IRAF (Institut de Recherche sur l’Avenir du Français), étendue à l’ensemble des pays d’Afrique francophone et s’appuyant sur la démographie, notamment de l’institution scolaire, en 1980, fournit quelques éléments de reflexion sur la francophonie africaine en général et gabonaise en particulier, à partir d’une répartition en six groupes de l’ensemble de la population d’un pays.    N0 : non scolarisés dont certains peuvent cependant être francophones,     N1: francophones (2 années d’enseignement primaire caractérisant en principe une oralité simple, l’écoute et la compréhension de la radio, la capacité de répondre à des questions usuelles),
     N2 : (enseignement primaire complet de bonne qualité, donnant la capacité de lire un journal et de maitriser une écriture simple),
    N3 : (enseignement jusqu’à la fin de la 3ème, permettant de lire des ouvrages simples et de comprendre un film en français), 
    N4 : (niveau baccalauréat qui assure la pratique aisée d’un français correct et une certaine domination de la langue utilisée),
    N5 : (niveau des études supérieures). Une telle enquête généralisée facilite une évaluation constrastive du degré de francophonie des Etats de la zone. Les résultats pour le Gabon, publiés par C. Couvert en 1984 et exprimés en pourcentages de la population, placent, à cette date, le Gabon à la tête des pays d’Afrique Centrale :
    N0 : 209 068    =    36,88% (le chiffre le plus faible de l’ensemble des enquêtes africaines)
    N1 : 183 373    =    32,35% (le chiffre le plus élevé de l’ensemble des enquêtes africaines)
    N2 : 131 807    =    23,25% (seconde position après le Congo)
    N3 : 26 112    =    4,61% (id.)
    N4 : 11 510    =    2,03% (id.)
    N5 : 4 991    =    0,88% (id.)
    effectifs des francophones : 566.861 personnes soit 63,12% (1er rang pour l’Afrique Centrale). 

    Ces données sont certes vieillies mais le RGPH de 1993, sans nous permettre de réaliser un tableau immédiatement comparable, nous fournit quelques points de réflexion, d’une part par rapport à l’enquête de l’IRAF de 1984, d’autre part par rapport aux hypothèses (fortes ou faibles) d’évolution à l’aube de l’an 2000 contenues dans l’ouvrage de l’IRAF.

    Dans le tableau ci-dessous, on notera, à gauche en italique, les chiffres par niveau fournis par l’hypothèse faible (H.F) avancée par Couvert pour l’an 2000, à droite en gras, les chiffres correspondants calculés par nous à partir des données du RGPH de 1993.Ainsi, chiffres 1993 : Pour les 6 à 14 ans, il y a 90% de scolarisés.

Le tableau contrastif ci-dessous ne prend en compte que la population âgée de 15 ans et plus

 
(H.F. : 2000)
RGPH : 1993
 
    Effectif de 473 419 personnes
effectif de 594 389 personnes
N0 : 
73 767 personnes soit 15,58 % 
166 538 soit  28,01% 
N1+ N2 : 
N1=110 514 soit 23,34% et
N2=157 830 soit 33,34% 
183 143 soit  30,81%
N3 : 
78 490 soit 16,58%
150 060 soit  25,24%.
N4 : 
34 662 soit 7,32%
50 169 soit   08,44%.
N5 : 
    18 155 soit 3,84% 
18 357 soit    03,08%
    Les constatations sont les suivantes :
* diminution très importante des non-scolarisés, bien que la baisse soit sensiblement moins forte que celle qui était espérée dans l’hypothèse faible. On peut cependant constater qu’en 1993 ces N0 ne sont nombreux que chez les plus de 40 ans.** il n’est guère possible de comparer les scolarisés du primaire (1984/ hypothèse faible 2000/ 1993) . En effet, le RGPH de 1993 ne donne de chiffres que pour les personnes ayant suivi le cycle primaire sans établir de distinction entre ceux qui l’ont seulement entamé (N1) et ceux qui l’ont terminé (N2). De surcroît, les pourcentages ci-dessus indiqués ne prennent en compte que les 15 ans et plus, âge évidemment supérieur à celui de la moyenne des élèves du primaire. 
*** Par contre, il y a eu, en une dizaine d’années, une très nette avancée du niveau N3 (de 4,61 % à 25, 24%) et ce résultat dépasse clairement ce qui était espéré par l’hypothèse faible.
**** Les résultats, de même, sont très supérieurs pour N4 : scolarisation atteignant le niveau baccalauréat (la représentativité du groupe passe de 2,03% à 8,44%) alors que l’hypothèse faible n’espérait que 7,32%.
***** Le progrès concernant les études supérieures est incontestable. Pour N5, la représentativité du groupe passe de 0,88% à 3,08%) et il n’est que de peu inférieur à ce qu’espérait l’hypothèse faible (3,84%). 
Il est donc permis de penser que, non seulement le nombre global de francophones gabonais s’est accru mais que la qualité moyenne de leur utilisation de la langue s’est améliorée, malgré les carences éducatives constatées. 
    D ? Conclusions.
    Certes, ces données, essentiellement démographiques, n’ont pas grande valeur linguistique mais, du point de vue sociolinguistique, elles permettent d’envisager l’existence d’au moins trois grandes catégories d’utilisateurs de français :
+ D’une part, un groupe, de plus en plus restreint et de plus en plus âgé, de francophones analphabètes, ayant appris le français « sur le tas » , ou très peu scolarisés et disposant d’un « petit français » approximatif et instable, dont le stéréotype est partiellement illustré par certains pastiches comme la rubrique « Makaya » du journal L’Union . Cependant des travaux très récents (Italia, 2000) portant sur l’expression française d’analphabètes fang, de la région d’Oyem, donc en contexte ethnique quasi monolingue, relativement âgés, montre que ceux-ci utilisent un français relativement aisé, de type mésolectal, ce qui tendrait à prouver que le modèle acquis par la seule pratique conversationnelle environnante en français est de bien meilleure qualité, du point de vue lexique et morpho-syntaxe, que celui que l’on pourrait rencontrer chez la majorité des analphabètes francophones d’autres pays africains. (cf. par exemple Ploog, 1999, Prignitz, 2000).+ D’autre part, une majorité de scolarisés moyens utilisant prioritairement un français mésolectal, régionalement assez marqué (dans sa prononciation, sa prosodie, son lexique et sa syntaxe) mais également éventuellement susceptibles dans certaines situations de recourir à quelques formes de français basilectal plus ou moins stéréotypées.+ Enfin, le groupe des intellectuels, diplomés de l’enseignement supérieur, ayant, souvent, vécu assez longuement en France et capables d’utiliser une variété de français très peu différente de celle de leurs homologues de l’hexagone, même si, en situation informelle, dans leur pays, il leur arrive fréquemment d’utiliser la variété mésolectale locale, voire, si nécessaire, un stéréotype de français basilectal. (Ntsaga-Oyouni, 1998).
 

3. L’INVENTAIRE DES PARTICULARITES LEXICALES DU FRANCAIS AU GABON

3.1. Historique du projet.
   De 1972 à 1983, sous l’égide de l‘AUPELF (Association des Universités entièrement ou partiellement de langue française, devenue par la suite AUPELF-UREF = Université des Réseaux d’Expression Francophone puis, actuellement, Agence Universitaire de la Francophonie), un vaste programme de recherches lexicales a été mené à travers un certain nombre de pays francophones d’Afrique noire. Il a abouti d’abord en 1983 puis en 1987 à la publication d’un gros ouvrage : Inventaire des particularités lexicales du Français en Afrique Noire (IFA). Malheureusement, le Gabon n’a pas participé à cette recherche. C’est pour pallier cette absence, que quelques étudiants, français et gabonais se sont lancés dans cette quête, pour leurs mémoires de maîtrise ou de DEA : Claudettte Boutin-Dousset (1990), Caroline Thibaudier (1991), Maria Alves (1994), Marie Artigues, (1995), Karine Boucher (1996, 1997), Sandrine Ntsaga-Oyouni (1998), Diane Bagouendi-Bagère (1999), Magali Italia (2000) afin de participer à la deuxième étape du projet IFA 2000 qui prévoyait une reprise des travaux à visée plus diachronique et complémentaire, la nouvelle étape des recherches, d’une part, devant doter chaque pays d’un inventaire de particularités lexicales qui lui soit propre, et d’autre part, devant regrouper dans un ouvrage collectif les données africaines revues, corrigées et complétées dans l’espoir de couvrir l’ensemble des pays africains dits francophones. C’est pour tenter de répondre à ces objectifs, du moins en partie, que le projet IFGAB a pris naissance et qu’une équipe s’est constituée autour de Suzanne Lafage, dans le cadre du Centre d’Etudes Francophones de l’Université de Paris III-Sorbonne Nouvelle et du Réseau des Observatoires du Français Contemporain en Afrique (Institut national de la langue Française, UPRESA 6039 - Nice), en liaison avec l’Université et l’Ecole Normale Supérieure de Libreville où des missions ont été effectuées par certains étudiants.    Le présent inventaire doit donc être considéré comme une simple étape (la première) de l’élaboration d’une banque de données gabonaises lexicales à visée diachronique, qui devra être poursuivie, complétée et corrigée pour une éventuelle mise sur CD Rom.
 
3.2. Les objectifs.
    3.2.1. Participer à l’IFA 2000. 

Le premier objectif, nous l’avons vu, est de combler un manque par rapport à la plupart des pays africains francophones ayant participé à l’IFA. Il s’agit donc de procéder aux recherches menées concernant le lexique français utilisé au Gabon, tel qu’il est usité par les Gabonais mais aussi par des non-Gabonais lorsque ceux-ci parlent du Gabon. Il est, en effet, pour les uns comme pour les autres, indispensable, par exemple pour décrire certaines réalités historiques, culturelles, scientifiques ou administratives du pays, d’employer des mots locaux, que ce soient des emprunts aux langues gabonaises ou des néologismes français. C’est ce qui expliquera la présence, dans notre bibliographie des ouvrages dépouillés, de livres ou d’articles spécifiques (tourisme, ethnologie, médecine, littérature, etc..) ayant trait au pays et dont les auteurs sont des étrangers. Mais il s’agit de bien plus que cela.


    3.2.2. Une optique différentielle. 

L’objectif majeur du présent ouvrage est de faire un état des lieux, une sorte de portrait du lexique français adapté au Gabon, en son état actuel (l’enquête couvre essentiellement la période qui a suivi l’Indépendance du pays, même si elle embrasse quelques lexies antérieures qui ont survécu, notamment dans certaines oeuvres littéraires). La perspective est différentielle. Ne sont répertoriés que les usages lexicaux locaux qui sont absents du français de référence ou qui présentent des divergences par rapport à lui. Et c’est là que réside la première difficulté. Car le corpus lexicographique différentiel idéal devrait être celui qui résulterait d’une analyse contrastive entre tous les topolectes de la langue française, extensive à tous les domaines couverts par le lexique et exhaustive à l’intérieur de chacun de ceux-ci. (Lafage, 1997 : 88). Une telle aspiration relève encore de l’irréalisable. On s’est donc contenté ici d’oeuvrer au mieux des possibilités : l’inventaire gabonais a été élaboré grâce à la confrontation du lexique français du Gabon et de son équivalent en usage dans l’hexagone, tel qu’il est présenté dans les ouvrages descriptifs spécialisés (grammaires certes mais aussi dictionnaires de toutes sortes : de langue, du sport, du français non conventionnel, de spécialité, etc...) mais aussi tel qu’il est attesté dans le quotidien des locuteurs de l’hexagone dont les différentes usances sociolinguistiques serviront également de références aux réalisations gabonaises équivalentes. (cf. Boucher, sous presse).

    
      3.2.3. Une visée descriptive et non-normative. 
On le comprend déjà, il ne saurait donc être question ici d’une nomenclature à visée normative. L’inventaire est purement descriptif. Il ne s’agit aucunement de déterminer ce qui dans le lexique français du Gabon devra être considéré comme de bon aloi ou ce qui devra être rejeté comme « faute ». La référence choisie est celle que constitue pour une réalisation gabonaise déterminée, la réalisation habituelle hexagonale de même niveau qu’il s’agisse du domaine du discours formel, littéraire, scientifique, surveillé ou au contraire de l’usage oral quotidien, familier, argotique ou relâché. Le but n’est absolument pas de jeter l’opprobe sur d’éventuels solécismes ni d’en constituer un recueil pour suggérer une quelconque réhabilitation à des fins pédagogiques. Pour chaque entrée de l’inventaire, un ensemble d’informations sera porté à la connaissance du lecteur et indiquera par des notations sociolinguistiques appropriées (cf. microstructure) les observations effectuées concernant l’usage local qui en est fait. En effet, seules les autorités gabonaises compétentes sont qualifiées pour décider ultérieurement si d’éventuelles exploitations didactiques pourront être tirées des informations fournies. La première exigence de la démarche méthodologique choisie est plutôt de réconcilier dans l’IFGAB à la fois les exigences légitimes des locuteurs nationaux moyens (c’est-à-dire, du moins en partie, leur imaginaire linguistique, ce qu’ils croient faire ) et les exigences de l’approche scientifique (c’est-à-dire la prise en compte des véritables réalisations linguistiques, ce qu’ils font ». (Lafage, 1997 : 87), sans porter aucun jugement de valeur.


    3.2.4. Enquête étendue à tous les Gabonais francophones... 

La visée exclusive de la collecte n’est donc pas seulement la langue générale que l’on définit traditionnellement comme l’usage linguistique des gens ayant atteint un certain niveau de scolarité (niveau de formation universitaire) . (Mel’Cuk/ Clas/ Polguère, 1995 : 43). L’informateur-locuteur francophone gabonais « moyen » ne sera pas forcément choisi en tant que instituteur/ professeur, journaliste, avocat, médecin ou tout autre représentant d’une profession intellectuelle. (Ibid.). Car, dans un pays certes francophone mais dans lequel ces diplomés de l’enseignement supérieur ne constituent encore qu’une petite minorité, cela signifierait laisser de côté certaines catégories socio-professionnelles fondamentales pour l’économie du pays (petits commerçants, planteurs, employés des secteurs techniques ou industriels, prestataires de service du secteur tertiaire, etc. ), détentrices également d’un rôle spécifique dans l’appropriation et la démocratisation locales du français. 


    3.2.5. à toutes les formes de communication, à tous les domaines et tous les registres. 

De même, le français ayant une fonction avérée de véhiculaire, l’enquête est étendue de façon extensive non seulement à tous les locuteurs potentiels mais aussi à tous les modes de communication (de l’écrit littéraire, para-littéraire ou technique, à la presse, à la bande dessinée, aux pastiches, voire au web, en passant par l’oralité formelle : théâtre, conférences, média variés,...ou à l’oralité informelle : conversations diverses, entretiens radiodiffusés...). Tous les domaines sont également concernés : de l’agriculture à l’industrie, de l’aquaculture à la foresterie, de la cuisine à la santé, de la vie traditionnelle aux activités urbaines les plus contemporaines, de la justice à la délinquance. Tous les registres sont également scrutés car il semble bien qu’on ne saurait réduire arbitrairement la réalité langagière aux seules manifestations de bon aloi ni prétendre qu’un locuteur francophone se limite toujours au bon français de l’école dans les échanges quotidiens avec ses compatriotes. (Lafage, 1997 : 89).

     3.2.6. Une perspective polylectale. 
Dans un contexte de mondialisation et d’urbanisation accélérées, il semble bien que l’oralité de la langue véhiculaire s’apprenne surtout par contact direct dans la rue dans des conditions sociolinguistiques partout isomorphes sinon similaires. C’est notamment le cas de certains parlers à fonction identitaire comme les argots urbains chez les jeunes. Bien des ressemblances contextuelles pourraient actuellement être établies entre le verlan des banlieues hexagonales, le nouchi ou le zouglou d’Abidjan, le parler des Cool-Mondjers gabonais... Or nous ne disposons pas de suffisamment d’informations sur ces modes langagières, notamment sous l’angle diachronique, puisqu’il s’agit ici d’un premier inventaire et que donc nous ne pouvons avoir le recul que fournissent aux autres pays africains ayant participé à l’IFA, les vingt années d’obervation et d’analyse qui viennent de s’écouler. Ces parlers seront-ils véritablement éphémères ? Ne laisseront-ils aucune trace ? Des données essentielles nous font défaut : date d’apparition ou de disparition d’une lexie, modification de son sens ou de son registre, passage d’un terme de l’oralité familière à l’écriture, continuité d’une présence, effacement suivi de renaissance, etc. Aussi, il nous a paru préférable d’ouvrir assez largement le corpus et la sélection des données dans l’espoir que d’autres études suivront et qu’elles trouveront dans la banque de l’IFGAB un maximum de renseignements utiles pour la réflexion des chercheurs concernant l’évolution du lexique. C’est là la principale raison pour laquelle le corpus lexicographique de base de cet inventaire de « prenière main » se veut polylectal au sens de Berrendonner/ Le Guern/ Puech (1983 : 23) : Est pertinent non pas ce qui est a priori jugé correct mais tout ce qui est attesté . Ainsi, par exemple, des lexies récurrentes se rencontrent dans la rubrique « Makaya » du journal L’Union qui constitue un pastiche approximatif du « petit français » supposé usité par des « broussards » âgés, peu ou non scolarisés. Ce stéréotype rejoint celui qui, dans les pièces de théâtre ou les romans, est mis dans la bouche de personnages représentant le même groupe social. A tout moment et à titre plaisant, des lexies ou des expressions de ce type peuvent apparaître sous la plume d’un journaliste, dans la conversation d’un intellectuel comme dans celle d’un petit loubard. Faut-il les écarter alors que, par exemple, des dictionnaires de langue française comme le Petit Robert ouvrent leurs pages à certains mots de verlan passés dans l’usage courant français comme « ripou » (1991) ? Nous avons donc cru préférable de viser pour notre collecte le lexique linguistique local, hétérogène certes et plus largement ouvert que le lexique dictionnairique de la langue française, restreint et idéalisé, tel qu’il apparaît dans les ouvrages de référence habituels. (cf. la distinction établie par Corbin, 1987 : 44). Il ne faut cependant pas perdre de vue que le traitement différentiel écrème la totalité de la langue, faisant disparaître les convergences complètes entre le topolecte étudié et le français commun de référence (ce qui, en quelque sorte constitue ’la partie immergée de l’iceberg’) alors que sont mises en évidence les quelques divergences rencontrées dans le lexique. (Lafage, 1997 : 98). Il ne sera donc pas surprenant que l’IFGAB, résultant de cette démarche, puisse présenter une certaine incohérence apparente car, malgré un traitement lexicographique systématiquement identique des particularités lexicales gabonaises, il rassemble et rapproche des données de tous types, de tous registres, de toutes usances. Mais l’information collectée ne peut être interprétée que placée sous l’éclairage de ce qui constitue sa véritable raison d’exister comme nous l’avons dit supra : le portrait de l’ensemble du lexique du français local d’une période donnée, portrait dont la réalisation, l’extension et la poursuite devrait aboutir au témoignage de l’africanité (ici de la « gabonité ») d’un enrichissement de la langue française.

 3.3. Les particularités lexicales.

    3.3.1. De quelques généralités. 

Un particularisme lexical pourrait ici être grossièrement défini comme un trait lexical divergent entre le lexique d’un topolecte : le français du Gabon, comparé au lexique du français de France servant de référence, sur la base de l’analyse de réalisations rapprochables dans l’intention sémantique, le contexte situationnel, le registre utilisé, etc. Il peut également s’agir, dans l’une des variétés, de l’absence d’un mot usuel ou d’une expression fréquente dans l’autre, d’une modification (dans le sens, la forme, l’emploi, la prononciation, l’orthographe, etc...) d’un même terme, de l’apparition d’un néologisme. Cependant, avant d’aborder la description typologique systématique des particularités rencontrées, il convient de préciser plusieurs éléments importants.    D’une part, l’IFGAB ne contiendra pas que des particularités exclusivement gabonaises. Comme l’IFA l’a déjà montré, pour diverses raisons historiques, il existe un certain nombre de convergences lexicales non seulement entre le français des divers pays africains (« français en Afrique ») mais aussi entre l’ensemble des pays qui ont été colonisés par la France (« français des colons »). 

    D’autre part, bien que la présentation dictionnairique de l’IFGAB puisse donner l’impression qu’il existe un grand nombre de particularismes, il faut cependant remarquer que, dans l’usage quotidien local, ils sont assez rares. Ainsi, par exemple, dans un quotidien comme l’Union, on n’en relève en moyenne qu’un petit nombre (pas plus de 5 à 6 par numéro) et beaucoup sont récurrents. On peut donc affirmer que dans la communication locale courante, 93% du vocabulaire, à peu près, relèvent du français « commun ». (Comptage effectué par les étudiants de maîtrise de Francophonie de Paris III à partir d’exemplaires du journal l’Union (numéros d’octobre à décembre, 1996).
    De plus, les quelques spécificités locales ne sont pas également réparties dans l’usage. Si l’on s’appuie sur la représentation « en soleil » de l’organisation fonctionnelle du lexique français conçue par Rivenc (1971 : 51-70), un certain nombre de faits peuvent apparaître : 




    Le noyau commun fondamental du lexique à fréquence élevée est à peu près identique pour les Gabonais et pour les Français, à quelques rares éléments près : gagner pour « avoir », être pour pour « appartenir à », payer pour « acheter ».
    Le lexique disponible commun fondamental est le lieu des divergences les plus fréquentes et les plus marquées (realia différentes: andok, fourmi safari, singe soleil, bâton de manioc, diarrhée rouge; pratiques culturelles : bwiti, bois sacré, manger l’iboga ; dénominations administratives : province, chef de canton, district, déguerpissement, etc...).    Les lexiques généraux d’orientation scientifique, généralement acquis par l’école ou par des apprentissages variés sont finalement relativement peu différenciés, même si on tient compte de l’adaptation au terrain des enseignements : saison des pluies, bush littoral, mangrove ...
    Les lexiques très spécialisés, au contraire, sont généralement identiques pour les spécialistes d’une même discipline qu’ils soient Gabonais ou Français, qu’il s’agisse par exemple du recours pour la faune et la flore aux identifications scientifiques, à des termes techniques spécifiques.
    Sous le français local, l’Afrique est toujours présente, dans une double attraction, d’une part vers la tradition, la culture ancestrale, le fonds merveilleux des contes et des mythologies du terroir, d’autre part vers la modernité, ses réalités (développement, ouverture sur la civilisation de l’universel, mondialisation des communications,...) mais aussi ses clinquants aux effets parfois destructeurs. De ces oppositions, ailleurs conflictuelles, le Gabon semble opérer une synthèse presque harmonieuse dont l’appropriation locale du français peut apparaître comme le témoignage.
 

    3.3.2. Typologie fonctionnelle.

On a coutume de distinguer trois types de particularités selon qu’elles touchent l’usage, la sémantique ou la forme de la lexie. (Lafage, 1977, 1993 : 29-31).

    Le tableau ci-joint tente de montrer, de façon générale, ce que peut produire le déplacement du lexique français au Gabon. Il ne prend donc en compte (en essayant de les catégoriser) que les modifications qui aboutissent aux changements propres au lexique français du Gabon.
A- Variations de l’usage : Elles peuvent dépendre de plusieurs facteurs :
    -Modification de la fréquence . Ainsi des termes rares ou fortement spécialisés dans l’hexagone peuvent, au Gabon, relever du vocabulaire commun disponible : pian, loa-loa, tsé-tsé, tilapia,... De même, des parasynonymes peuvent voir leur distribution changer : an/ année, portable/ cellulaire, vêtement/ habit , ....
    -Survivance d’états de langue . Certaines lexies considérées comme vieillies ou sorties de l’usage dans
 l’hexagone restent au Gabon parfaitement vivantes : accoutrement, chambre ("pièce"), canguer ("enchaîner»"), carotte de tabac, troque, ...
    -Neutralisation de l’opposition de registres : belle de nuit ("putain"). 
    -Modification d’expressions figées (phénomène très fréquent) : soit par addition d’un élément : Quand les
poules auront des dents et des cornes au menton ("quand les poules auront des dents"), muet comme nos carpes Lambaréné ("muet comme une carpe"), soit par suppression d’un élément : bras dessus-dessous ("bras dessus-bras dessous"), soit par substitution : raisonner comme une calebasse ("raisonner comme un chaudron"), soit par permutation d’éléments : faire des mains et des pieds ("faire des pieds et des mains").    -Modification graphique usuelle : bonané ( "bonne année"),
    -Modification d’origine phonétique : bandé-con ("bande de cons").
    -Modification référentielle : Ainsi le balai local n’a pas de manche (contrairement à la définition que donnent de cet instrument les dictionnaires français usuels). D’où l’absence locale de l’expression "être maigre comme un manche à balai").
B- Variation sémantique : La lexie du français de référence est attestée dans le français gabonais sans modification ni de sa forme ni de sa nature grammaticale. La particularité touche uniquement son sens. 
    -Restriction de sens : graine ("noix de palme"), sauce ("ragout de viande ou de poisson"), conjoncture ("mauvaise conjoncture, période de pénurie d’argent"), ...
    -Extension de sens : gâter, gaspiller ("tout verbe donnant l’idée de destruction : détériorer, abîmer, détruire, désorganiser, gâcher, ... "), frère, cousin, ("sens très vaste n’impliquant pas forcément une relation de parenté"), banquier ("toute personne qui travaille dans une banque, quel que soit son emploi"), assiette ("tout récipient susceptible de contenir des aliments, même s’il est muni d’un couvercle"), ...
    -Translation : boule mitcha ("Gabonais qui a effectué un séjour à Paris et donc fréquenté le boulevard St Michel"), bancs ("école"), goudron , ("rue goudronnée, route").
    -Changement de connotation : charlatan (mélioratif "devin-guérisseur"), cascadeur (péjoratif "jeune dont les imprudences peuvent mettre la vie d’autrui en danger"), ...
    -Changement de dénotation : bureau ("femme entretenue par un homme marié"), cavalier ("gros moustique"), vamper ("quitter son enveloppe charnelle pour s’introduire dans l’esprit et le corps d’autrui"), tigre ("serval"), renard ("mangouste"), ...
C- Néologismes : Les termes gabonais, ici recensés, sont absents du français de référence en raison d’
    -un changement de catégorie grammaticale . Ainsi un nom peut devenir adjectif : caillou ("dur, difficile"), un nom peut devenir adverbe : cadeau ("gratuitement"), un adjectif peut devenir nom : coloniale ("époque coloniale/ administration coloniale"), un verbe transitif direct peut se construire absolument : préparer (avec une restriction de sens "faire la cuisine"), un verbe transitif indirect peut devenir transitif direct : accoucher un garçon ("accoucher d’un garçon"), un verbe pronominal peut ne plus l’être : tailler ("se tailler"), ...
    -une abréviation. P.K. ("point kilométrique"), clando ("taxi clandestin"), bagne ("bagnole"), rapido ("rapport sexuel dans un véhicule avec une prostituée"), ...
    -un redoublement.Coupé-coupé ("grillad"»), arranger-arranger ("artisan itinérant"), petit-petit ("tout petit"), plat-plat ("carangue"), ...
    -une dérivation. (Procédé très fréquent surtout s’il s’agit de suffixation ou de parasynthèse). Après-pétrole ("période durant laquelle le secteur pétrolier ne suffira plus à assurer le financement du développement du pays"), célibatairium ("logement de célibataire"), bufflon ("jeune buffle"), interprovincial , ("de province à province"), ananeraie , ("plantation d’ananas"), charlatanisme ("pratiques thérapeutiques secrètes des charlatans-voyants"), dédeuillement ("sortie de deuil"). Certaines dérivations peuvent être régressives aussi comme alphabète (antonyme d’analphabète, "personne sachant lire et écrire"), becte, (à partir de "becter" "nourriture"), concoction (mot obsolète ressuscité à partir de "concocter"). 




    -une composition. (Procédé extrêmement fréquent). Adouci-coeur ("gigolo"), tradipraticien ("guérisseur traditionnel utilisant la pharmacopée africaine"), bouillon-tonton ("plat de poisson fumé"), singe soleil ("Cercopithecus solatus"), case d’écoute ("case où l’on se réunit pour regarder la télévision") , cochon de terre, ("oryctérope"), boire au clairon ("boire au goulot"), perdre son coeur ("perdre le contrôle de soi"), ...
    -un emprunt. (Procédé évidemment fort fréquent et pouvant provenir de sources diverses). Langues non africaines comme le portugais : cassada ("tranches de manioc cuites"), farigna ("semoule de manioc"); langues africaines non-locales comme le wolof du Sénégal : cram-cram ("Cenchrus biflorus, plante dont les épillets s’accrochent aux vêtements"), le mandenkan d’Afrique de l’Ouest : magnan ("anoma molesta, fourmi aux redoutables mandibules"), ainsi que toutes les langues locales : bwiti (du tsogho "rite initiatique"), kombo-gombo (du miéné "bois du parasolier"), makaya (du fang "monsieur tout le monde"), ...
    -une hybridation. (Néologie constituée à partir de bases lexicales provenant de langues différentes, de telle sorte que le mot ainsi constitué relève exclusivement du lexique local de la langue d’accueil), soit par dérivation, soit par composition : bwitiste (tsogho/ français "adepte du bwiti"), boîte à byèri (français/ fang : ‘byer = ancêtre’ "reliquaire"), carpe ékouni (français/ fang (poisson "Tilapia heudoletii").    -un calque. (Sans qu’il soit toujours possible d’identifier étroitement la langue-source car l’expression peut avoir des formes très proches dans de nombreux parlers bantous de la région) : donner la bouche, faire la longue bouche, mâcher du piment contre quelqu’un, ...     Il faut cependant noter que, parfois, la particularité lexicale retenue peut résulter de la convergence de plusieurs des traits fonctionnels présentés supra. Ainsi bûch est à la fois une néologie par abréviation familière de "bûcheron", mot qui présente au Gabon un changement dans la dénotation "partisan du R.N.B, Rassemblement National des Bûcherons, parti politique d’opposition", tribaliste est une création locale par suffixation, à connotation toujours fortement péjorative, etc.    D- Collecte et sélection des données.    Compte-tenu de ce qui a été dit en 3.2., la collecte a été extensive et a été recueillie, tant à partir du dépouillement de tous les ouvrages concernant le Gabon (qu’ils soient ou non écrits par des Gabonais) que nous avons pu consulter (cf. Bibliographie), qu’il s’agisse d’oeuvres littéraires, para-littéraires, scientifiques de toutes natures, de la presse locale, de documents variés, pour l’écrit. Ou bien pour l’oralité, d’enregistrements d’émissions télévisées ou radiodiffusées, de discours ou de conversations diverses, effectués partout où nos enquêteurs en ont eu la possibilité, donc surtout en contextes urbains. Ou même de textes trouvés sur des sites gabonais du Web. Les jeunes ont été, certes, plus fréquemment interrogés, d’une part parce qu’ils étaient généralement plus disponibles, compte-tenu du statut estudiantin des enquêteurs, mais aussi parce que, dans les mutations que connaît l’Afrique actuelle, la classe des Gabonais urbanisés de 15 à 30 ans est pratiquement entièrement francophone avec, parfois, le français comme langue première et quasi-exclusive. Il était donc intéressant d’appréhender, à travers leurs propos, une prospective de l’avenir local du français.    Tous les enregistrements ont été conservés afin de constituer un fond documentaire à partir duquel d’autres analyses (phonétique, prosodique, morpho-syntaxique,...) pourront être être entreprises car le dépouillement à ce jour effectué possède exclusivement une visée lexicale. Toutes les attestations contenant ce qui nous est apparu comme une particularité, même si la lexie est d’un emploi très fréquent, ont été collectées pour la constitution de la banque de données. Cependant, afin de ne pas inutilement alourdir l’ouvrage, nous n’avons retenu, dans l’illustration d’un article dictionnairique, qu’un nombre très restreint d’exemples, choisis essentiellement pour la clarté évocatrice de leur spécificité. Toutefois, il faut bien reconnaître qu’en ce qui concerne le français du Gabon, nous avons rencontré un problème particulier, fort délicat à résoudre. Du fait de l’extension de son usage dans la communication nationale, la langue française au Gabon est proche de celle qui est pratiquée dans l’hexagone, bien plus, semble-t-il, que ce n’est le cas dans d’autres pays africains francophones pour lesquels nous avons réalisé des inventaires de particularités (Bénin, Togo, Côte-d’Ivoire, Burkina-Faso...). Il arrive cependant de percevoir, notamment dans la presse écrite, certaines distorsions délicates à cerner. Dans ce cas, seule la multiplication des exemples relevés permet de distinguer la réalité de l’écart et donc de le décrire. Il n’est pourtant guère possible compte-tenu des contraintes éditoriales, d’alourdir certains articles par une abondance accrue d’illustrations. Par conséquent, il est nécessaire de préciser ici qu’aucune entrée de l’IFGAB n’est un hapax et que la banque possède d’autres attestations de la lexie étudiée, différentes de celles qui ont été choisies pour l’élaboration de l’article. De même, tous les exemples fournis pour l’oral ont été effectivement réalisés, même si nous avons été souvent contraintes de les réduire à la séquence illustrative concernée, d’en ôter d’éventuels ratés (répétition, hésitations, redites, autocorrections, etc.) afin d’en conserver l’intelligibilité.     Par contre, les critères de sélection d’une entrée ne sont pas aussi limitatifs que ceux qui ont été adoptés pour l’IFA.     - Ainsi le critère de fréquence n’est appliqué qu’aux mots ne relevant pas d’un lexique de spécialité. Il est en effet évident que les appellations de la faune ou de la flore ne sont pas forcément toutes connues du locuteur moyen et se rencontrent peu hors des ouvrages spécialisés. Il nous a pourtant paru important de consacrer des entrées à toutes celles qui avaient reçu une dénomination populaire attestée, qu’il s’agisse d’un terme français ou emprunté. Par ailleurs, il apparaissait que des appellations présentes dans les dictionnaires de référence, soit n’avaient été prises en compte qu’à la suite de la publication de l’IFA (et dans ce cas, elles n’en restaient pas moins des realia africaines impossibles à omettre) soit fonctionnaient localement comme un générique, entraînant comme sous-entrées une suite de termes spécifiques usuels ou plus rares qu’il convenait de regrouper (cf. les entrées antilope*, arbre*, poisson*, etc...). D’ailleurs il paraissait justifié de répertorier dans l’inventaire tous les items qui permettaient de rendre compte des réalités d’un pays où la flore est encore presque vierge et la faune préservée, alors qu’ailleurs tant d’espèces semblent avoir disparu ces dernières années, si l’on en croît les ouvrages scientifiques récents (cf Haltenorth/ Diller, 1985). Enfin, il nous a semblé utile d’indiquer dans la rubrique « synonymie » (SYN. : ) de l’article, chaque fois que cela nous a été possible, une équivalence dans une ou deux langues du pays afin de faciliter éventuellement l’identification de l’entrée par le lecteur gabonais non spécialiste. En effet, les africanistes lorsqu’ils font un lexique d’une langue africaine sont contraints souvent, pour la faune et la flore, d’utiliser comme identification de la plante ou de l’animal, l’appellation scientifique latine, faute de connaître le nom français vulgaire équivalent ou parfois de crainte que l’appellation française locale usuelle soit scientifiquement inadéquate (cf. bambou*, boa*, caiman* ,...).    Le critère de dispersion géographique ne signifie pas grand chose dans un pays où la plus grande partie de la population se rassemble dans les deux villes les plus importantes, peu éloignées l’une de l’autre et forcément hétérogènes dans leur population. Cependant, lorsque certains termes, (notamment des emprunts), nous ont paru d’extension plus régionale, nous avons estimé préférable d’en noter éventuellement les équivalents, ailleurs, dans le pays et d’en indiquer la localisation.
    Le critère de dispersion chronologique est évidemment restreint puisque nous avons essentiellement travaillé en synchronie. Néanmoins, le dépouillement de certains ouvrages relatant des évènements historiques, les récentes publications d’écrits plus anciens de A. Raponda-Walker, permettent d’explorer un passé relativement récent et de constater quelques changements qu’il a été jugé utile de noter. Par contre, comme nous l’avons déjà souligné, cet ouvrage n’étant qu’une première description, il ne nous a pas été possible de vérifier la durée d’utilisation de certaines expressions familières très à la mode chez les jeunes.    Quant au critère de dispersion sociale, il n’a guère eu d’influence sur la sélection d’une lexie, mais, lorsqu’une particularité nous a semblé plus caractéristique d’un groupe social donné (argot estudiantin, intellectuels, pétroliers*,...), nous l’avons précisé dans les notations sociolinguistiques de l’article.
    Chacune des particularités rencontrées, a été soumise ,pour vérification, en contexte non éclairant, à deux types de jurys. D’une part, un jury de Gabonais d’une dizaine de personnes (5 hommes et 5 femmes de 20 à 50 ans représentant des N1/N2, des N3 et des N4), interrogés séparément. D’autre part, un jury de cinq non-Gabonais résidant dans ce pays depuis plus de cinq ans, eux aussi questionnés isolément. Cette vérification nous a permis d’éliminer certaines scories et d’engranger les informations qui figurent dans la rubrique marques d’usage des articles de l’Inventaire (cf. 3.4.2. Micro-structure).

    3.4. L’élaboration de l’IFGAB.

    3.4.1. Le classement de la nomenclature : macro-structure.
    Pour l’IFGAB, comme pour tous les autres inventaires parus à ce jour, les lexies sont classées en fonction de l’ordre alphabétique. La forme graphique retenue pour l’entrée est celle dont l’attestation est la plus fréquente dans le corpus. Elle est suivie des autres graphies éventuellement rencontrées par ordre alphabétique. Chaque variation graphique importante est à son tour répertoriée en fonction du classement alphabétique mais il ne s’agit pas d’un nouvel article car l’entrée constitue alors un renvoi réduit à l’identification grammaticale et à une éventuelle attestation écrite éclairante.
Ex. : bouïti, bouiti, n.m.V. BWITI *. Par ‘Bouiti’ on entend : 1° la société secrète du’Bouiti’, 2° la danse se rapportant au culte du ‘Bouiti’, 3° la statue fétiche du ‘Bouiti ‘. (Raponda-Walker, 1998 : 56).    Lorsque la particularité n’a été rencontrée qu’en contexte oral, elle est, pour les raisons exposées supra, l’objet d’une reconstitution orthographique qui se veut le plus conforme possible au système graphique français afin d’en faciliter la lecture. Mais pour respecter éventuellement des graphies locales possibles, nous avons choisi d’écrire côte à côte par exemple : koumhou, var. kumhu ; groover, var. grouver.
    Comme on l’a vu dans l’exemple ci-dessus, nous utilisons par ailleurs un sytème de renvoi. Ce renvoi en majuscules grasses est alors accompagné d’un astérisque qui, lorsqu’il s’agit d’une lexie complexe suit le segment indiquant la classification alphabétique de l’entrée principale ( CAPITAINE*-PLEXIGLASS, PERDRE SON COEUR* ). Néanmoins, le renvoi peut avoir plusieurs utilisations différentes. Soit il suit l’identification grammaticale et dans ce cas il établit entre l’entrée et une autre entrée une parenté sémantique (synonymique, antonymique,...). Soit il suit la définition et il établit un lien de similarité entre l’entrée et le renvoi (construction grammaticale, identité de composition morphologique,...). Enfin, lorsque l’astérisque accompagne un mot contenu dans une attestation, cela signifie que ce mot est l’objet d’un article de forme dictionnairique.    Il nous a paru préférable, pour pallier l’effet arbitraire déstructurant que donne l’ordre alphabétique, de rassembler dans un même article, une série hiérarchisée de mots composés ou dérivés relevant du même thème, soit, comme nous l’avons dit supra, parce que le rapport entre eux est celui du générique (le terme de l’entrée, par exemple bois ) au spécifique (les composés ou dérivés qui en sont issus : bois bandé, bois amer, bois-bouchon etc...) soit parce que l’ensemble des expressions collectées relève de la perception gabonaise d’un élément, par exemple pour la symbolique du corps humain. Ainsi, toutes les expressions contenant le mot bouche sont regroupées dans les sous-entrées d’un même article. Ainsi donner la bouche figure à la place alphabétique (lettre D) qui serait la sienne mais ne contient qu’un renvoi V. BOUCHE* (sous-entrée où l’on trouvera notations sociolinguistiques, définition et exemples).    Toutefois, pour alléger les articles spécialisés, s’il ne s’agit que de citer quelques-unes des dénominations françaises très techniques désignant des espèces différentes relevant d’un même genre, nous avons estimé préférable de les réunir sous une seule et même entrée (cf. Galago, Gobemouche ).
     3.4.2. La constitution des articles : micro-structure.    Tous les articles de l’inventaire sont organisés selon une grille identique. Lorsque pour une entrée, plusieurs sens ou plusieurs constructions sont attestés, ceux-ci sont hiérarchisés d’abord en fonction du sens (sens propre puis sens figuré) puis de la nature grammaticale : sens attaché à un v.tr. puis à un v. intr. par ex. ou à la distinction n. ou adj. Dans quelques rares cas, une mince nuance de signification peut être indiquée par une subdivision A) ou B) de l’entrée ou de la sous-entrée concernée. Lorsqu’il s’agit de composés ou de locutions constituées à partir de l’entrée, elles sont rassemblées dans une sous-entrée et classées par ordre alphabétique (cf. par exemple SERPENT* ou ANTILOPE .*) lorsqu’il s’agit d’un générique comprenant des animaux fort différents. Par contre, lorsqu’il s’agit de distinctions plus subtiles entre animaux de la même espèce, un seul et même article rassemble toutes les appellations (V. SOUIMANGA *). Précisons toutefois que des homonymes feront l’objet d’entrées différentes séparées et numérotées. Ainsi DRILL (1) est un tissu épais et résistant, généralement de couleur kaki et DRILL (2) un singe de la famille des Cercopithèques, le papio (mandrillus] leucophaeus Cuvier.L’entrée est présentée en caractères gras, en majuscule accentuéea selon les normes habituellement en vigueur dans les dictionnaires. La forme vedette (la plus fréquente dans l’usage écrit local) est suivie des éventuelles variantes graphiques rencontrées, toujours en caractères majuscules gras. Lorsque l’entrée est un emprunt, la vedette représente la forme francisée (de lecture plus accessible à des lecteurs francophones non-gabonais), accompagnée, comme nous l’avons dit plus haut, de la graphie plus conforme à la notation de la langue d’origine. En principe, toutes les variantes graphiques mentionnées ne sont pas illustrées dans l’article principal pour ne pas alourdir inutilement le texte. Quand nous en avons une attestation écrite, elle est insérée comme illustration à côté de l’entrée alphabétique de la variante graphique, à côté du renvoi à l’entrée principale.La transcription phonétique entre crochets et en Alphabet phonétique international (A.P.I). ne figure pas dans l’IFGAB, pour cette édition, car, compte-tenu du nombre d’ethnies en présence dans le pays et de la proximité des parlers bantous, la prononciation d’un mot emprunté peut poser problème, chaque groupe ethnique le réalisant en conformité avec ses habitudes dialectales. Un travail ultérieur devrait permettre de vérifier des convergences articulatoires éventuelles en contexte urbain pluriethnique.La catégorie grammaticale notée en abrégé, en caractères italiques. figure ensuite. Il peut arriver parfois que les deux genres soient indiqués pour indiquer l’instabilité locale du genre d’un nom (ex. : palabre , n.m ou f.). Par contre, la graphie au féminin d’un mot masculin n’est mentionnée que si la féminisation de ce nom constitue une particularité. La spécificité du nombre est également mentionnée si la lexie exige un emploi préférentiel au singulier ou au pluriel. Tout pluriel exigeant une notation particulière attestée est indiqué. Par contre, les adjectifs ne figurent que sous la forme du masculin, sauf si la formation du féminin n’obéit pas aux règles habituelles. Pour les verbes enfin, le mode de construction et les modifications de valence sont également précisés.Les diverses marques d’usage viennent ensuite, en caractères italiques : tout d’abord la fréquence . Usuel signifie que le terme est courant dans la vie quotidienne et dans tous les milieux, Fréquent (Fréq.) qu’il est d’un usage plus restreint, Disponible (Dispon.) qu’il est connu mais assez peu utilisé, Spécialisé (Spéc.) qu’il relève d’un vocabulaire technique, Vieux (Vx)/ Vieilli : que le terme est obsolète ou en voie de disparition. Exceptionnellement, un terme d’apparition récente sera noté Nouveau et suivi de la date de première attestation écrite recueillie. La mention du code précisera s’il s’agit d’un usage seulement attesté à l’écrit ou seulement attesté à l’oral. L’absence de toute indication signifie qu’il n’y a pas lieu de signaler une spécificité d’usage des deux codes.L’étymologie du mot vedette emprunté figure entre parenthèses. Il mentionne l’origine en précisant le nom de la langue (ou des langues-source) et éventuellement du pays où celle-ci est parlée s’il ne s’agit pas d’une langue gabonaise. L’absence d’indiction de l’origine signifie qu’il nous a été encore impossible d’identifier la langue-source. Lorsque la lexie a changé de signification en changeant de langue, nous avons pensé utile de fournir entre « » le sens d’origine.On trouvera ensuite quelques notations sociolinguistiques concernant le groupe des utilisateurs : intellectuels/ peu ou non scolarisés/ étudiants/ jeunes... L’absence de cette indication signifie que la lexie est répandue dans tous les milieux. Le type de réalisation est aussi précisé si nécessaire : langue recherchée / mésolecte (: parler ordinaire)/ basilecte (: parler spécifique des peu ou non scolarisés) / stéréotype . Les registres sont éventuellement indiqués : littéraire/ familier/ populaire/ vulgaire/ argot ..,.ainsi que la connotation éventuelle : mélioratif/ péjoratif/ plaisant..., et la limitation géographique possible de la diffusion.Il faut cependant préciser que la notation Usuel ne sera suivie que rarement d’une autre mention sociolinguistique à l’exception de notations concernant la connotation.La définition est aussi brève que faire se peut sans perdre de l’information. En principe, une lexie est définie par une autre lexie équivalente dans le français de référence, de même catégorie grammaticale et de même registre. Ainsi par exemple, nous nous sommes efforcées de définir un emploi argotique gabonais par son équivalent argotique hexagonal, un mot vulgaire local par un mot de même niveau du lexique de France. Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’éléments relevant de la culture traditionnelle gabonaise, si les contextes illustratifs ne paraissaient pas suffisants pour éclairer le lecteur étranger, nous avons cru bon d’ajouter les quelques informations de type encyclopédique nécessaires, ce qui n’a pas toujours été facile. (cf byéri, bwiti,...). En ce qui concerne les lexies relevant de la faune ou de la flore, la définition est toujours précédée de l’appellation scientifique actuelle accompagnée du nom de l’identificateur en abrégé et éventuellement des équivalences passées (notées =) car il n’est pas toujours aisé pour un non-professionnel de s’y reconnaître dans les diverses appellations qui se sont succédé ou qui ont coéxisté selon les pays, sans consulter d’index, quand il en existe, comme l’Index de Kew qui établit de façon certaine les synonymies scientifiques pour la flore. C’est ainsi que aiélé est défini par l’ensemble des identités qu’il a connues : (Canariurm Sweinfurtii Engl. = Canarium Chevalieri Guill. = Canarium Khiala A. Chev. = Canarium occidentale A. Chev.). Si un seul élément de la dénomination scientifique a changé, l’ancienne forme figure entre crochets. Ex. : autour gabar, (Melierax [Micronisus] gabar Daudin). Le nom de l’identificateur figurant rarement dans les ouvrages moins spécialisés que les flores ou les index, il nous a été parfois impossible d’en découvrir certains. Une telle lacune est notée « ? ».Les illustrations sont données ensuite en caractères italiques. Elles sont classées par ordre chronologique, sans mention de la rubrique d’appartenance, bien que celle-ci ait été soigneusement répertoriée dans la banque de données. On trouvera donc dans l’IFGAB des attestations littéraires (: littérature de fiction identifiée par le nom de l’auteur, suivi de la date de parution et de la page dont la citation a été extraite), des attestations issues d’ouvrages divers (: ouvrages variés portant sur l’histoire, l’ethnologie, le tourisme, l’économie etc., identifiés par le nom de l’auteur, la date de parution et la page), des extraits de presse (journaux, identifiés par leur titre et la date de parution), ou d’ouvrages techniques : (ouvrages spécialisés). Dans ce dernier cas, il peut arriver que l’attestation soit simplement indiquée par ses références exactes [auteur, date de parution : page] lorsque le mot-vedette apparaît dans un contexte où la plupart des termes très scientifiques nécessiteraient une glose explicative). Certaines attestations proviennent de documents variés (bandes-dessinées, dessins humoristiques, affiches, lettres-circulaires, etc, clairement identifiés, extraits de copies d’étudiants, ...), d’enregistrements d’émissions télévisée ou radiodiffusées (accompagnés du nom de l’émission, et de la date), d’extraits d’un site du Web, de contextes oraux (conversations identifiées par la fonction du locuteur, éventuellement son âge, le lieu et l’année de l’enregistrement). Nous n’avons pas fourni d’illustrations de tous les types de contextes répertoriés ci-dessus, en raison des contraintes éditoriales. Enfin, pour quelques rares contextes oraux, il nous a parfois paru indispensable de joindre une « traduction » complète de l’énoncé .Une rubrique COM . : (commentaire) peut suivre les contextes pour apporter d’éventuels éclaircissements sur la graphie d’un pluriel, par exemple la redondance du pluriel bantou ba- et du pluriel français ?s dans badirecteurs ou l’absence de marque du genre et du nombre dans certains emprunts.La rubrique ENCYCL. : (encyclopédie) est réservée à d’éventuelles informations encyclopédiques qu’il n’était pas possible d’insérer dans la définition et que les contextes n’éclairaient pas suffisamment.Les rubriques DER . : (dérivés), COMP. : (composés) soulignent la productivité du mot-vedette par la préfixation, la dérivation, la parasynthèse ou la composition et entérinent la pertinence de sa sélection. Toutes les lexèmes cités dans cette rubrique renvoient à des entrées ou sous-entrées distinctes.LOC. : (locutions) regroupe toutes les locutions et les syntagmes où figure le terme analysé. Ceux-ci font l’objet d’une analyse distincte dans une sous-entrée du mot-vedette.SYN. : (synonymes) présente la liste des équivalents du mot-vedette dans le français local. Cette synonymie peut n’être que partielle, ce qui est, évidemment, mentionné. De toute manière, les lexèmes cités comme synonymes renvoient à une entrée spécifique. Pour la faune et la flore cependant, pour les raisons exposées supra, nous indiquons généralement une synonymie dans au moins une des langues du pays. Mais pour éviter d’inutiles répétitions, les mots possédant de multiples synonymes, sont suivis d’un renvoi au mot le plus fréquemment employé qui, seul fera l’objet d’un article complet, comportant notations sociolinguistiques, définition, illustrations et liste de la totalité des synonymes contenus dans l’IFGAB.

    3.5. La réalisation de l’IFGAB.

La collecte regroupe environ 2 500 entrées principales (avec pour certaines près d’une trentaine de sous-entrées représentant de nouvelles unités de sens). Le travail ne peut cependant être considéré comme achevé ou exhaustif. Bien que n’en ignorant pas les imperfections, nous avons pourtant voulu le proposer au jugement du public, d’une part dans l’espoir de susciter de l’intérêt pour les problèmes onomasiologiques et sémasiologiques du français gabonais et donc d’attirer critiques, conseils, corrections ou collaborations, d’autre part parce qu’il fallait mettre un terme provisoire à la recherche si l’on voulait tenir les délais impartis à la mise en commun des données en vue de la nouvelle synthèse africaine. Nous ne voudrions pas toutefois clore cette introduction sans dire toute notre reconnaissance et toute notre amitié, non seulement aux étudiants déjà cités qui ont, dans des délais fort restreints, accepté de fournir un travail remarquable, mais aussi à tous les informateurs rencontrés qui ont bien voulu consacrer un peu de temps à répondre à nos questions fastidieuses, à nous expliquer leur pays, ses coutumes et ses traditions. Grâce à eux tous, le Gabon a pu nous dévoiler quelques-uns de ses aspects les plus attachants, ignorés du touriste de passage, nous émerveiller et devenir un pays désormais cher à notre coeur.
Suzanne LAFAGE
Karine BOUCHER